16.8.12

La chasse au mouton sauvage (2) : de l'organe de reproduction d'un cétacé

" A défaut de baleine, l'aquarium exposait un pénis de l'espèce. Un ersatz en quelque sorte. Ainsi donc, durant toutes les délicates années de mon adolescence, il me fut donné de contempler, en lieu et place d'une baleine, son pénis. Quand j'étais las de me promener dans les froides allées de l'aquarium, je venais m'asseoir sur le sofa, sous le haut plafond de la salle d'exposition où régnait maintenant un profond silence, et je restais là des heures entières, perdu dans mes pensées, devant le pénis de la baleine.
Il m'apparaissait tantôt comme une sorte de petit palmier tout desséché, tantôt comme un gigantesque épi de maïs. Sans l'écriteau portant la mention "organe reproducteur du mâle de la baleine", personne n'aurait pu deviner de quoi il s'agissait. C'était, plutôt qu'à l'océan Antarctique et à l'un de ses produits, à quelque vestige déterré dans un désert du centre de l'Asie qu'il faisait penser. Il ne ressemblait ni à aucun de ceux que j'avais pu voir jusque là. Comment dire ? Il s'en dégageait quelque chose de difficile à exprimer, de triste, qui n'appartenait qu'à un pénis coupé.
Quand j'eus ma première relation sexuelle avec une fille, c'est encore à cet immense pénis de baleine que je songeai. Cela me faisait de la peine de m'imaginer par quelle fatalité, par quel enchaînement de circonstances il avait abouti dans la salle déserte de cet aquarium. Je ne voyais pas la moindre issue là-dedans. Mais je n'avais que dix-sept ans et c'était encore trop tôt pour se désespérer de tout. C'est depuis lors que je me fis cette opinion. A savoir que nous n'étions pas des baleines."
La course au mouton sauvage, MURAKAMI Haruki,  ch3, septembre 1978, 1. Le pénis de la baleine, la fille aux trois métiers

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