24.1.19

Meurtre et Commandeur (59) : où la daurade devient sardine

" "Mais si c'est difficile de t'expliquer avec des mots, pourquoi ne le dessinerais-tu pas ? Après tout, tu es peintre.
- Si tu ne peux pas avec des mots, répondis-je, fais-le avec des images. Facile à dire. En réalité, bien difficile à faire.
- Cela vaut au moins la peine de chercher, non ?
- Le capitaine Achab aurait peut-être dû poursuivre une sardine" répondis-je.
Masahiko rit. "Pour sa sécurité peut-être. mais l'art ne naît pas de ce genre d'attitude.
- Oh, arrête, s'il te plaît. Dès qu'on sort le joker "art", il n'y a plus de discussion possible. "
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.42, Si ça se casse en tombant par terre, c'est un œuf, ed.Belfond

23.1.19

Meurtre et Commandeur (58) : dîner

"Attablés à la salle à manger, nous étions prêts pour déguster les sashimi, accompagnés de Chivas. Pour commencer, il y eut quatre huîtres crues chacun, que Masahiko avait achetées en même temps que la daurade, et puis la daurade elle-même en sashimi. Le poisson qui venait d'être préparé ainsi était délicieux, d'une fraîcheur extrême. Sa chair était certes encore ferme et nous prîmes tout notre temps pour la savourer en buvant lentement le whisky. Et finalement, les sashimi furent épuisés à nous deux. Ces deux plats nous rassasièrent presque. En dehors des huîtres et de la daurade, nous avions des amuse-gueules : de la peau grillée, du wasabi haché et mariné dans de la lie de saké et du tofu. Et pour finir, du bouillon clair."
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.42, Si ça se casse en tombant par terre, c'est un œuf, ed. Belfond

22.1.19

Meurtre et Commandeur (57) : confidences

"Masahiko sortit la bouteille de Chivas Regal du sac en papier et la déboucha. j'apportai deux verres et pris des glaçons dans le réfrigérateur. Quand le whisky emplit les verres, ce la fit un bruit extrêmement agréable. Qui évoquait un proche qui vous ouvre son cœur. "
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.42, Si ça se casse en tombant par terre, c'est un œuf, ed.Belfond

21.1.19

Meurtre et commandeur (56) : tout est bon dans la daurade

"Ce jour-là, il avait apporté tout spécialement son propre couteau de cuisine. Un outil à la lame acérée qui disait combien il en prenait soin. Et avec ce couteau, il débita la grande daurade toute fraîche qu'il venait d'acheter chez un poissonnier à Itô. Masahiko avait toujours eu de multiples talents et il était très adroit de ses mains. Il la fileta efficacement, sans perdre de chair, en prenant bien soin d'enlever toutes les petites arêtes. Il découpa ensuite les filets en fines tranches pour les transformer en une grande quantité de sashimi. Il prépara un bouillon clair avec la tête et les arêtes. Puis il fit griller la peau à la flamme pour en faire des amuse-gueules. Avec admiration, j'observai mon ami exécuter cette série d'opérations. Il aurait peut-être eu du succès comme cuisinier professionnel.
"Le poisson blanc, c'est meilleur si tu le laisses reposer un jour avant d'en faire du sashimi, car lachair devient plus tendre et le goût plus savoureux, mais tant pis."
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.42, Si ça se casse en tombant par terre, c'est un œuf, ed.Belfond

20.1.19

Meurtre et commandeur (55 bis) : Volvo


A 4 heures de l'après-midi, samedi, Masahiko arriva au volant d'un break Volvo noir. Une Volvo d'un modèle ancien, carré, sans artifice, robuste, comme il les aimait. Il conduisait cette voiture depuis très longtemps déjà, avait parcouru avec une distance considérable, mais ne paraissait pas avoir l'intention d'en acheter un nouveau modèle."
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.42, Si ça se casse en tombant par terre, c'est un œuf, ed.Belfond

Meurtre et Commandeur (55) : gourmet

"Vendredi soir, Masahilo me téléphona. Pour m'annoncer qu'il viendrait ici le lendemain après-midi. Il me dit qu'il passerait d'abord prendre un poisson bien frais au port de pêche voisin et que je n'avais pas à me tracasser pour le dîner, que nous allions nous régaler.
"As-tu envie que j'apporte autre chose ? Puisque je viens, autant en profiter.
- Non, pas spécialement", dis-je. Puis je me souvins d'une chose. " Ah, en fait, je n'ai plus de whisky. la bouteille que tu m'avais offerte, je l'ai finie avec un visiteur. Si tu pouvais en acheter une autre, de n'importe quelle marque ?
- Moi, j'aime bien le Chivas. Ca t'irait ?
- Oui, très bien" répondis-je. Depuis toujours Masahiko était un fin gourmet. Moi, je ne porte guère d'intérêt à la nourriture. Je mange et je bois simplement ce qui se présente à moi.
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.42, Si ça se casse en tombant par terre, c'est un œuf, ed.Belfond

15.1.19

Meurtre et Commandeur (54) : autre single malt

"- Chez moi, j'ai un single malt qu'une de mes relations en Ecosse m'a envoyé récemment; Un single malt assez exceptionnel, qui provient de l'île d'Islay. Quand le Prince de Galles a visité la distillerie, il a lui même donné un coup de marteau pour enfoncer le bouchon dans le tonneau. Si cela vous dit, je vous l'apporterai un de ces jours."
Je lui répondis qu'il ne fallait pas, que c'était trop.
"A propos de l'île d'Islay, tout près, il y en a une autre, petite, qui s'appelle l'île de Jura. Vous voyez ?
- Non, je ne connais pas cette île, répondis-je.
- La population est très réduite, c'est vraiment un îlot de rien du tout. Il y a bien plus de cerfs que d'humains. Les lapins, les faisans et les phoques y prolifèrent également. Et puis, il y a une vieille distillerie. A côté, jaillit une eau de source très bonne, parfaitement adaptée à la fabrication du whisky. Quand on boit ce single malt de Jura coupé avec de l'eau bien fraîche qui vient juste d'être puisée à la source, c'est une expérience gustative extraordinaire. C'est vraiment un goût que l'on ne peut savourer que sur cette île."
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.36, Pas de discussion sur les règles de notre jeu,  ed.Belfond

14.1.19

Meurtre et Commandeur (53) : single malt


"Je rapportai la bouteille de whisky, un bol en faïence rempli de glaçons et deux verres. Pendant ce temps, Menshiki avait posé sur la platine le disque que j'avais écouté auparavant, Le Chevalier à la rose. Et nous bûmes notre whisky avec en arrière fond la musique de Richard Strauss alors à l'apogée de son art.
"Vous aimez le single malt ? demanda menshiki.
- Celui-ci, on me l'a offert.C'est un ami qui me l'a apporté. je crois qu'il n'est pas mal. "
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.38, Un contenant maquillé, fabriqué dans un but spécifique  ed.Belfond

13.1.19

Meurtre et Commandeur (52) : balai musical


"Je posai ensuite un disque du Chevalier à la rose de Richard Strauss sur la platine, m'allongeai sur le canapé et me plongeai dans l'écoute de la musique. C'était devenu une habitude pour moi d'écouter le Chevalier à la rose lorsque je n'avais rien à faire de spécial. Une habitude que Menshiki m'avait inculquée. Dans cette composition, comme il l'avait dit, il y avait assurément une sorte de drogue. Une émotion continue, jamais en défaut.Des instruments sans cesse hauts en couleur dans leur résonance. " Même un balai, je serai capable de le dessiner clairement avec de la musique", s'était vanté Richard Strauss. Ou peut-être ne parlait-il pas d'un balai."
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.36, Pas de discussion sur les règles de notre jeu,  ed.Belfond

12.1.19

Meurtre et Commandeur (51) : habitude


Puis je regagnai le salon, mis comme d'habitude sur la platine l'un des disques du Chevalier à la rose de Richard Strauss ( sous la direction de Georg Solti), m'installai dans le canapé et, tout en lisant, attendis l'arrivé de ma petite amie. Soudain , je me demandai quel était le livre que liszit Shôko. Quel pouvait bien être le genre d'ouvrage qui la passionnait à ce point ?"
MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.36, Pas de discussion sur les règles de notre jeu,  ed.Belfond

3.1.19

Nous mourons tous par petits bouts : rencontre

Je ne l'avais pas vu depuis quinze ans au moins, mais je l'ai reconnue tout de suite. Et je l'ai apostrophée aussitôt de ce diminutif un peu ridicule dont tout le monde la nommait. Cela me faisait tant de plaisir de la revoir après tant d'années; elle avait accompagné mes débuts en pédagogie, puis mes débuts en musique, et je l'admirais autant pour ses grandes compétences professionnelles que pour sa grande bienveillance, qui à l'époque n'était pas à la mode. Là, sur ce seuil, était-ce ce morne film que nous avions apparemment subi ensemble qui nous avait contaminées... comment savoir ? sa réponse à mon salut fut un étonnement poli, une critique commune du film et des échanges de vœux, pas plus de deux minutes de son attention. Elle m'avait reconnue physiquement, c'était déjà cela, mais peut-être aurait-il mieux valu que non, plutôt que cette proximité distante. Ce n'était peut-être ni le jour ni l'heure, tout simplement, qui ne méritait peut-être pas le pincement à l'âme que j'ai ensuite ressenti.

1.1.19

Meurtre et commandeur (50) : réglé comme une horloge

"Elle ne manifesta aucune réaction. Je n'étais même pas certain que mes paroles aient atteint ses oreilles.
Je fis une nouvelle tentative : "Emmanuel Kant menait une vie extrêmement régulière. Les habitants de la ville, en le voyant se promener, pouvaient régler leur montre sur son horaire."
Ces paroles n'avaient aucun sens dans ce contexte, je voulais seulement voir comment Marié réagirait. Constater si oui ou non ce que je disais était parvenu à ses oreilles. Mais elle ne répondit toujours rien. le silence environnant était toujours plus profond. C'était le seul effet qu'avait produit ma tentative. Quant à Emmanuel Kant, il poursuivait sa promenade quotidienne d'une rue à l'autre de Königsberg, dans un éternel silence, avec une parfaite régularité. les derniers mots de son existence furent : "Es ist gut." ("C'est bien.") Ce type de vie existe aussi. "
 MURAKAMI Haruki, Le Meurtre du Commandeur, Livre 2, ch.35, Vous auriez mieux fait de laisser cet endroit tel quel,  ed.Belfond