9.12.13

Et la fureur ne s'est pas encore tue (4)

"- J'ai vu Hersh, lui confiai-je.
- Comment va-t-il ?
- Il n'a pas beaucoup changé.
- Que compte-t-il faire ?
Siegfried savait très bien que je ne pouvais répondre à cette question, mais il la posa malgré tout, pour laisser s'écouler les mots d'avant-guerre qui bouillonnaient en lui. On aurait pu penser que ces mots étaient morts mais il arrivait qu'ils sortent de leur cachette et redressent la tête, dans leur nudité effrayante. On tendait l'oreille sans trop y croire mais c'étaient bien eux, ils étaient vivants.
Être avec Siegfried m'était difficile. Je ressentais une profonde tristesse lorsqu'il se dérobait,et en même temps je savais que c'était avec lui seul, ou avec ses semblables, que je pouvais marcher ou m'attabler dans un restaurant. Je comprenais très bien le sens de ses silences déchirants et lorsqu'il parlait à la manière d'avant-guerre, je savais que ce n'était pas par facilité mais par curiosité : il cherchait à entendre le ridicule contenu dans le langage d'avant et dans des expressions démodées."
Et la fureur ne s'est pas encore tue, Aaron Appelfeld, ch.78

Et la fureur ne s'est pas encore tue (3)

"J'attendis le bus rue Jaffa pour aller à la gare centrale. Quelques personnes vêtues en noir se tenaient près de moi. Je respecte les Juifs en noir. Comme moi, ils essaient de se rapprocher de Dieu, qui s'est adressé à nous autrefois. Comme moi, ils savent qu'Il a cessé de nous parler mais ils ne renoncent pas et ils essaient trois fois par jour. Ces tentatives désespérées peuvent éveiller la pitié, mais aussi le respect."
Et la fureur ne s'est pas encore tue, Aaron Appelfeld, ch.76

8.12.13

Et la fureur ne s'est pas encore tue (2)

"La force de la prière ne réside pas dans les grommellements, les demandes ou les suppliques aux oreilles de Dieu, mais dans la capacité à rester de longues heures en prêtant l'oreille à ce qu'il cherche à nous dire."
Et la fureur ne s'est pas encore tue, Aaron Appelfeld, ch.61

Mes notes de Chevet (110) : Choses qui sont bonnes quand elles sont grandes

"Les bonzes, les fruits, les maisons, les sacs à provisions, les bâtonnets d'encre qui garnissent l'écritoire.
Les yeux des hommes."
Sei Shônagon, Notes de chevet


Mes notes de chevet
Les yeux bien sûr mais... ma grande sœur a oublié les mains.

7.12.13

Cent vues (83) : au soleil


Aoyama no Fuji, Hokusai


J'ai découvert le port de l'ombrelle au Japon, après beaucoup de résistance pour l'occidentale que je suis, puis avec le facilité des orientales qu'elles sont. Adéquation parfaite pour se protéger des rayons et de la chaleur. 
Un de mes regrets, ne pas avoir acheté une ombrelle au Japon pour continuer ici, dans mon pays de Soleil, mes cheminements estivaux.

Venise par le nez


"Samedi 24 mars 1951
Hier, Venise par les oreilles, aujourd'hui Venise par le nez, toujours les yeux fermés. Imagine que tu sois aveugle et sourd, propose Mona, il faudrait que tu les reconnaisses au nez, ces sestieris, pour ne pas te perdre ! Alors, renifle : le Rialto sent le poisson, les approches de San Marco sentent le cuir de luxe, l'Arsenal sent la corde et le goudron, affirme Mona dont l'odorat remonte jusqu'au XIIe siècle. Comme je plaide pour visiter tout de même un musée ou deux, elle objecte que les musées sont dans les livres, c'est-à-dire dans notre bibliothèque."
Daniel Pennac, Journal d'un corps

Et la fureur ne s'est pas encore tue (1)

"Le matin effaçait leur visage. Tout juste après le rassemblement, nous partions pour nos travaux forcés. Nous nous affaiblissions, torturés par un froid d'automne cinglant, et la nuit il était interdit de faire du feu. Nous nous enveloppions dans des hardes en luttant de nos maigres forces contre les courants d'air glacé. Chacun de nous savait ses jours comptés.
Il me semblait parfois que Yossef-Haïm voulait dire quelque chose, mais il disparaissait dans le col de sa veste dès que je m'approchais de lui. Ce que j'apercevais de son visage exprimait l'aspiration à être seul et tranquille. Presque personne ne semblait se rendre compte qu'il priait toujours. Je sentais sa prière planer sur nous un long moment, parfois un jour entier. Je ne confiai ce sentiment à personne. Il ne faut pas dévoiler certaines choses tant que leurs temps n'est pas venu, sous peine, entre autres, d'être couvert de ridicule."
Et la fureur ne s'est pas encore tue, Aaron Appelfeld, ch.21