"- J'ai vu Hersh, lui confiai-je.
- Comment va-t-il ?
- Il n'a pas beaucoup changé.
- Que compte-t-il faire ?
Siegfried savait très bien que je ne pouvais répondre à cette question, mais il la posa malgré tout, pour laisser s'écouler les mots d'avant-guerre qui bouillonnaient en lui. On aurait pu penser que ces mots étaient morts mais il arrivait qu'ils sortent de leur cachette et redressent la tête, dans leur nudité effrayante. On tendait l'oreille sans trop y croire mais c'étaient bien eux, ils étaient vivants.
Être avec Siegfried m'était difficile. Je ressentais une profonde tristesse lorsqu'il se dérobait,et en même temps je savais que c'était avec lui seul, ou avec ses semblables, que je pouvais marcher ou m'attabler dans un restaurant. Je comprenais très bien le sens de ses silences déchirants et lorsqu'il parlait à la manière d'avant-guerre, je savais que ce n'était pas par facilité mais par curiosité : il cherchait à entendre le ridicule contenu dans le langage d'avant et dans des expressions démodées."
Et la fureur ne s'est pas encore tue, Aaron Appelfeld, ch.78
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire