Mais je ne pouvais fuir : j’attendais Philomène.
Je contemplai la libraire qui parlait à un client, qui ensachait les livres. Je la connaissais bien ; je pensais à son intransigeance littéraire, à sa passion des textes. Philomène arriva, je reconnus son impatience à la façon de ses pas sur les marches. J’entrai aussitôt en matière. Ici, environnée des livres de Gadenne, de Segalen, de Murakami, c’était une véritable torture de ne pouvoir lui asséner la vérité. Je m’entendais prononcer des mots, utiliser des périphrases, tourner autour du pot : je lui dis que dans son récit, il n’y avait aucune intrigue cohérente, une simple succession de faits juxtaposés, sans fondement ni consistance ; mais je pensais, cette histoire est complètement débile, inintéressante, j’avais sué sang et eau à dépasser la page trois. Je lui dis que les idées n’étaient pas assez fouillées ; en fait, elles étaient d’une prétention inconséquente, d’un anticonformisme de Prisunic, jusqu’au prénom des personnages, une vraie ineptie propre à déclancher des rires malsains. Je lui dis que le style était maladroit, peu assuré ; il était tissé de lieux communs, de pastiche de nouveau roman, une abomination.
Je réalisais que j‘étais en train de commettre un délit d’opinion : autant de prétention, autant de nullité, de bêtises m’étaient insupportables. Cela dépassait le texte, il englobait son auteur, sa personnalité tout entière. Comment, comment…
Elle accusa le coup bravement. Dans les jours qui suivirent, elle tenta de se défendre, de me persuader du bien fondé de sa recherche. Je ne réussissais plus à être naturelle avec elle. Quelque chose s’était cassé. Sa légèreté m’était devenue insoutenable. Je fis tout pour l’éviter, ne plus la voir. Cependant, ce ne fut pas cette rupture qui m’affecta le plus : mais le fait de n’en pas souffrir. Elle m’était devenue totalement indifférente.
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