30.5.09

Dédicace (6)

Je regardais Philomène mûrir, organiser sa vie, faire ses choix. Il me fallut longtemps pour m’apercevoir que nos deux existences suivant leur cour s’éloignaient peu à peu inexorablement. Nous avions discuté de ses ambitions littéraires et je lui avais toujours affirmé que, pour réussir, l’étape incontournable était d’écrire un roman. Un jour que nous étions rencontrés fortuitement à la librairie, Philomène m’avait annoncé la grande nouvelle : elle l’avait commencé. Résolue, appliquée, elle y travaillait quotidiennement. Inflexible, j’avais refusé de le lire avant qu’elle ait totalement fini. Après des mois, elle m’avait remis enfin, toute fière, le manuscrit. Nous avions convenu d’un rendez-vous à la librairie pour que je puisse lui faire part de mes remarques. Il faisait beau dehors, un peu froid, et je l’attendais, accoudée à la mezzanine.
Il est toujours tentant d’observer comment quelqu’un aborde un livre pour la première fois : certains se contentent de le regarder de loin sans oser le toucher. Comment sont-ils attirés : est-ce le titre, l’auteur, qui leur évoque des souvenirs précis, au goût de revenez-y, est-ce l’illustration, en médaillon ou pleine page, peinture chérie, photo troublante, ou rien tout blanc ? Certains retournent immédiatement le livre et lisent la quatrième de couverture, découvrant parfois la fin que le directeur de collection y a inscrite, peut-être par sadisme, comme une vengeance envers les lecteurs curieux. D’autres lisent le début, ou feuillettent, au hasard, cherchant un passage où accrocher l’œil. Certains restent là, accrochés, seconde après minute, mais ne se dirigent pas toujours avec vers la caisse. Certains lisent en catimini, regardent autour d’eux pour voir si personne ne les épie – je me plonge à cet instant dans l’observation méticuleuse de l’abribus extérieur-. Ceux-là sont dans le vrai : la lecture publique est une activité proprement impudique, elle révèle chez le voyeur tout un enchaînement d’interrogations : pour quoi ce livre- ? une habitude, une excentricité ? pourquoi cette fréquentation, pourquoi ce manque de culture soudain comblé ? une vie double ou triple, pire une absence d’expression d’un sentiment refoulé pour la bourse, l’acupuncture, peut-être même la poésie ? Certains libèrent leurs deux mains, posent le livre bien à plat, feuillettent lentement. D’autres font tourner les pages à toute allure en marquant l’empreinte de l’articulation du pouce sur le papier glacé ; d’autres vont jusqu’à mouiller leur doigt à la tourne, quand le spectacle devient trop insoutenable, je fuis.

5 commentaires:

  1. Anonyme7:29 PM

    ce texte est donc de toi Dvorah?

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  2. Ben oui, cher anonyme !

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  3. Anonyme9:33 AM

    c'est très agréable à lire. J'aime beaucoup l'idée de lire quelqu'un que je connais (même si encore bien peu) en dehors de son écriture.
    Je trouve ça aussi très courageux car écrire c'est s'exposer et ce n'est jamais facile, j'en serais, je pense, bien incapable.
    tu épanches ma grande soif de lire en Français en même temps que je découvres une nouvelle amitié. Merci Dvorah!

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  4. Mais je ne sais toujours pas qui se cache derrière Anonyme ! Je pense que oui mais...italienne ?

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  5. non non...bien française ! mais en Italie...oui!c'est bizzare je clique toujours en mettant "nom" je ne crois pas avoir cliqué sur anonyme!

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