17.8.20

Des photographies

 "Mais si vous n'aviez pas de photos de votre mère ou de qui que ce fût de votre famille - ou encore de vous même avant un certain âge ? Comment expliqueriez-vous à quoi vous, elle ou ils ressemblaient ? Je n'avais jamais vraiment pensé à tout cela avant de parler à Meg Grossbard, ce dimanche après-midi-là, et de comprendre combien j'avais été désinvolte, irréfléchi même, traversant le monde entier pour parler avec ces survivants, qui avaient survécu avec rien d'autre, littéralement, qu'eux-mêmes et exhibant la riche collection de photos que ma famille avait conservées depuis des années, toutes ces photos que j'avais contemplées et qui, plus tard, m'avaient fait rêver pendant que je grandissais, les images de ces visages qui n'avaient pas véritablement de valeur émotionnelle pour moi; mais le pouvoir, soudain, de rappeler aux gens à qui je les montrais à présent la vie et le monde auxquels ils avaient été arrachés, il y a si longtemps. Comme j'étais idiot et insensible. Au moment ou madame Grossbard avait dit C'étaient ses parents , je m'étais rendu compte qu'elle ne se contentait pas de confirmer l'identité des gens sur la photo ; j'ai compris que ce qu'elle disait, c'était que, d'une certaine façon, elle posait son regard sur des visages qu'elle n'avait pas vus, qu'elle n'avait pas rêvé pouvoir revoir depuis soixante ans, des visages qui pouvaient faire remonter toute son enfance. C'étaient les parents de mon amie. J'ai imaginé à quel point cela devait lui paraître injuste de voir un jeune Américain rentrer dans sa vie, tout à coup, et distribuer des photos de gens qu'il n'avait jamais connu comme si c'étaient des cartes à jouer, et lui demandait dans choisir une, la photo des parents de son amie, quand elle n'avait même pas la photo de ses propres parents à regarder."

Les Disparus, Daniel Mendelsohn,  ed. J'ai lu p334

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire