"Le père de ma mère, quand il était encore au camp de Drancy, a réussi à lui envoyer un cadeau. Je ne sais pas par quelle entremise, par quelle poste, grâce à quelle complicité.
J'ai longtemps pensé que ce cadeau venait d'Auschwitz, mais en grandissant, j'ai compris que c'était impossible. Quoi qu'il en soit, c'était un présent de l'au-delà. Une assiette en étain, ou en aluminium - sans doute celle dans laquelle il mangeait-, au fond de laquelle il a gravé un dessin à l'aide d'une pointe. S'agit-il de Mickey la souris ou de Félix le chat ? Je ne sais plus. Je n'ai vu cet objet qu'une fois, il y a fort longtemps. Je crois qu'il est écrit, sous le personnage remarquablement dessiné, "à Joujou pour ses cinq ans", avec la date, 11 février 1942, en dessous. Après ça, mon grand-père a bu sa soupe sans un gobelet, dans ses mains, je ne sais pas. Il avait pensé à sa petite fille aux boucles blondes, aux yeux verts, aux joues rebondies, son ravissant bébé, et il s'était demandé comment lui faire plaisir, avec rien.
On ne peut pas regarder cette assiette. Elle a un pouvoir infini. On la sort de l'armoire et on pleure."
Agnès Desarthe, Le remplaçant. ed. de l'Olivier.
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