29.12.12

Chroniques de l'oiseau à ressort (23) : appétit littéraire


"Je me souvins avoir lu autrefois l'histoire d'un homme qui mangeait sans arrêt en attendant quelque chose. Après m'être livré à une longue méditation, je trouvai enfin le titre : c'était l'Adieu aux armes d'Hemingway. Le héros (dont j'ai oublié le nom) a réussi à traverser la frontière italienne en bateau pour se réfugier en Suisse, et il attend que sa femme accouche dans la clinique d'une petite ville. Pendant cette longue attente, il ne cesse d'entrer dans le café d'en face pour boire et manger. Je ne me souvenais guère de la trame de ce roman. Tout ce dont je me rappelais, c'était cette scène proche de la fin où le héros enchaînait repas sur repas, en attendant l'accouchement de sa femme dans un pays étranger. Cette scène m'avait marqué en raison de son intense réalisme. Sur le plan littéraire, la fringale du personnage me paraissait plus intéressante qu'un manque d'appétit causé par l'anxiété.
Dans la réalité, en revanche, mon appétit ne se manifestait absolument pas, tandis que j'attendais, immobile, qu'il se passe quelque chose, le regard tourné vers les aiguilles de l'horloge dans la maison calme. Mais si mon appétit ne se manifeste pas, pensai-je, c'est que je dois manquer de dimension littéraire. J'avais l'impression d'être devenu moi-même un personnage de mauvais roman. "
Chroniques de l'oiseau à ressort, MURAKAMI Haruki, deuxième partie L'oiseau prophète, ch.1, Aussi cocret que possible; l'appétit dans la littérature

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