30.12.10

Langue (3) : langue maternelle (1)

L'effort pour conserver ma langue maternelle dans un entourage qui m'en imposait une autre était vain. Elle s'appauvrissait de semaine en semaine et à la fin de la première année il n'en demeura que quelques brandons sauvés des flammes. Cette douleur n'était pas univoque. Ma mère avait été assassinée au début de la guerre, et durant les années qui suivirent j'avais conservé en moi son visage, en croyant qu'à la fin de la guerre je la retrouverais et que notre vie redeviendrait ce qu'elle avait été. Ma langue maternelle et ma mère ne faisaient qu'un. A présent, avec l'extinction de la langue en moi, je sentais que ma mère mourait une seconde fois...
Pendant plusieurs années je poursuivis mes efforts pour adopter l'hébreu et le transformer en langue maternelle... Nul besoin d'être graphologue pour voir le tourment, la confusion, la désorientation. Les fautes d'orthographe n'apparaissaient pas qu'en hébreu, mais aussi dans ma langue maternelle. Chaque lettre raconte la déchirure et le malheur, et une conscience suraigüe de moi-même. Que vais-je faire sans langue ?  ... "Sans langue, je suis semblable à une pierre".
Aharon Appelfeld, Histoire d'une vie, chapitre 18

NB : Aharon Appelfeld est un écrivain israélien et son œuvre est en hébreu.

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