26.12.11

Mes notes de chevet : 77. Occasions dans lesquelles les choses sans valeur prennent de l'importance

"Les dames qui escortent, à cheval, l'Empereur quand il sort de son palais."
Sei Shônagon, Notes de Chevet
Mes notes de chevet :
Il existe deux sortes de vélos bleus. Les vieux, avec leur changement de vitesse en métal, et les récents où la mollette, plus fiable, est en plastique. Depuis quelque temps, un homme a du faire un de ces paris stupides, ces paris stupides que l'on fait parfois à soi-même, pour se prouver quelque chose, une misère, et que la plupart du temps on abandonne tant les enjeux sont dérisoires. Mais celui-là n'abandonne pas, c'est un têtu. Et chaque jour il bat son propre record, et grignote, doucement mais sûrement, le parc vélocipédique : opère-t-il à coup de marteau, à coup de pied, je ne le sais, mais son geste est remarquablement efficace : disloquer la coque protectrice du levier de vitesse plastique des vélos bleus. Peu à peu, la proportion augmente, régulièrement. C'était un de temps en temps, puis de plus en plus souvent. Maintenant, on ne trouve quasiment aucun vélo récent en état, sauf les neufs, ou garés dans des lieux trop voyants. 
Oui, vraiment, c'est peu de choses. Juste un petit retard de transport, qui fait changer pour un vieux modèle, changer de station, remettre une balade. Rien de vital pour moi. Je ne sais pourquoi, j'y vois pourtant le symbole de notre monde, le glissement du quotidien vers le côté obscur de la force, son grignotage.
Bien sûr, il n'y a aucune trace des gens qui comme moi, remontent un vélo tombé, qui  téléphonent pour signaler un vélo égaré,  qui garent un vélo errant. Il y en a certainement beaucoup, de ces usagers de ce véhicule dérisoire, un peu brinquebalant, dont l'usage limité est gratuit. Ainsi va le monde, les trains qui partent à l'heure n'intéressent personne. Et l'on contemple fasciné l'agonie des déraillements.

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