7.6.06

souvenirs de petite bouche, 6


Purée.

Pour moi, la purée, ce n'était pas fait à partir d'un grand sachet d'aluminium à délayer dans de l'eau ou du lait. Ma maman prenait des pommes de terre vieilles et pleines de terre. Il fallait d'abord leur arracher les yeux, puis leur faire la peau avec un couteau magique, le couteau économe: cet outil ne ressemble ni à un couteau ni à rien du tout d'autre qu'à un couteau économe. Ma maman taillait les crayons avec, et ça leur faisait une drôle de mine, pas du tout pointue mais costaud, et le bois du crayon se dressait comme un petit tronc d'arbre ! Avec la languette, on pouvait aussi râper du chocolat sur les tartines beurrées, et faire des copeaux tout noirs comme sur les biscuits Papous. On enlevait aussi très facilement la peau des pommes de terre, et c'était d'ailleurs le deuxième nom du couteau. "Couteau-éplucheur de pommes de terre" était-il écrit dans le catalogue Manufrance. Même moi j'avais le droit de m'en servir; chaque fois que je le faisais, j'essayais de battre mon record de la plus longue épluchure. Quand les pommes de terre étaient toutes nues et bien propres, on les faisait bouillir dans une casserole et on attendait au moins vingt minutes. Puis Maman prenait un autre instrument magique qu'elle posait au dessus de la casserole vide : il s'appelait " presse-purée " dans le catalogue Manufrance. C'était comme un moulin dans lequel on jetait les pommes de terre; on tournait la grande poignée rouge et elles passaient sous une grande pièce de fer oblique qui les écrasait. Il fallait beaucoup de force. Sous le presse-purée, il y avait des dizaines de minuscules brins de purée qui tombaient dans la casserole. Ca ressemblait un peu au soleil cœur d'artichaut de la salle à manger de ma marraine. Il était difficile de broyer entièrement toutes les patates, il en restait toujours un tout petit peu, dans les coins, sous la lame. Pendant que ma maman mélangeait la purée en rajoutant lait, beurre, œuf et gruyère, je m'occupais de "nettoyer" le presse-purée : avec une petite cuillère, je râclais dans tous les recoins et je me délectais des petits morceaux de pomme de terre bouillie qui étaient restés collés aux parois.
Comme pour le Grand Bleu, il existait une version courte. Pendant le repas, avec toute sa poigne, Maman écrasait une pomme de terre bouillie avec une fouchette. C'était plus difficile d'y dessiner des rails mais on pouvait y écraser dans leur jus les petits pois frais ronds comme des balles pas tout à fait finies d'être gonflées.

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