21.2.22

Conjuguons avec Murakami (02) : les mots

" Il semble étrange (ou peut-être après tout, non, cela n'a rien de curieux), mais il suffit d'un battement de paupières, et les hommes vieillissent. A chaque instant nos corps, sans espoir de retour, s'en vont vers l'anéantissement. A peine a-t-on fermé les yeux, puis les a-t-on rouverts, que bien des choses ont disparu (certaines avaient un nom, d'autres pas). Soufflées par les vents violents de la pleine nuit, elles ont été emportées quelque part sans laisser de trace. Il n'en subsiste qu'un frêle souvenir. Mais non, on ne peut pas compter sur les souvenirs non plus. Qui pourrait affirmer avec certitude ce qui nous est vraiment arrivé par le passé ?

Cependant, si nous avons de la chance, demeureront parfois quelques mots à nos côtés. Dans les profondeurs de la nuit, ils graviront la colline, se faufileront dans des cavités adaptées à leur morphologie et effaceront tout signe de leurs présences en laissant souffler bien loin les vents sauvages du temps. Et lorsque, à l'aube, la tempête aura enfin cessé, les mots survivants réapparaîtront secrètement à la surface de la terre. Généralement calmes, timides, ne disposant que de moyens d'expression ambigus, ils sont toutefois prêts à témoigner. En témoins honnêtes et impartiaux. Seulement, pour forger des mots aussi persévérants, ou les découvrir et les abandonner, il faut un dévouement inconditionnel, qui vous engage corps et âme. Et pour cela, poser le cou sur un oreiller de pierre glacé, illuminé par le clair de lune hivernal. "

MURAKAMI Haruki, Sur un oreiller de pierrePremière personne du singulier, ed. Belfond

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