"Samedi 3 Août 1968
Ce matin, à Marseille, ma première impression d'été : la rapidité avec laquelle je me suis habillé. Deux temps, trois mouvements, slip, pantalon, chemise, sandales : c'est l'été. Ce ne sont pas mes vêtements en eux-mêmes, si légers soient-ils, qui m'ont procuré cette sensation de joie estivale, c'est la rapidité avec laquelle j'ai sauté dedans.
En hiver, m'habiller me prend un temps de chevalier à l'armure. Chaque partie de mon corps exige la congruence du tissu protecteur : mes pieds sont tatillons quant à la laine des chaussettes; mon torse, lui, veut la triple protection du tricot de peau, de la chemise et du pull-over. M'habiller en hiver consiste à trouver l'équilibre entre ma température intérieure et celle des différents dehors - hors du lit, hors de la chambre, hors de la maison... Il s'agit de baigner dans son juste jus de chaleur; rien de plus désagréable ni de plus répréhensible que d'avoir trop chaud en hiver. Cet harnachement hivernal demande une attention et un temps considérables. "Sauter dans ses vêtements" est une expression estivale. En hiver, on les met, verbe rudimentaire; on les met et on les porte. Car il y a le poids aussi. Bien avant ses vertus calorifuges, c'est le poids de mon manteau qui me protège contre le froid.
(Du point de vue du temps qu'ils y passent, les toréadors sont les seuls à s'habiller en été comme si c'était l'hiver. Un toréador ne saute jamais dans ses vêtements. Fichu métier.)"
Daniel Pennac, Journal d'un corps
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