29.4.06

Les dessous chics

C'est ne rien dévoiler du tout
se dire que lorsqu'on est à bout
c'est tabou

les dessous chics
c'est une jarretelle qui claque
dans la tête comme une paire de claques

les dessous chics
ce sont des contrats résiliés
qui comme des bas résilles
ont filé

les dessous chics
c'est la pudeur des sentiments
maquillés outrageusement
rouge sang

les dessous chics
c'est se garder au fond de soi
fragile comme un bas de soie

les dessous chics
c'est des dentelles et des rubans
d'amertume sur un paravent
désolant

les dessous chics
ce serait comme un talon aiguille
qui transpercerait le cœur des filles

Echos, 2

"Personne n'avait à le savoir. Cela serait un autre temps. Ce temps serait vécu par une autre femme. Il se situerait dans un autre monde. Il ouvrirait une autre vie.


... elles étaient entrées à l'intérieur de la ferme et elles avaient bu un verre de vin cuit en y trempant des biscuits au sucre et en racontant leurs vies respectives, malheureuses, les hommes égoïstes, libidineux, autoritaires, peureux , misérables. Elles évoquaient les bonheurs qui vieillissaient comme les corps.


-...Au téléphone il pleurait. C'était une histoire très triste à écouter
-Ca lui fera des yeux brillants...Avec des yeux brillants, il examinera avec plus de soin le fond de sa vie.


On dit que la toile selon son étendue, sa forme, sa solidité, ses leurres, sa beauté, au tout dernier moment tisse l'araignée qui lui est nécessaire.


L'envie que l'autre a de soi inventa un règne dont la disparition l'emplit de douleur.


Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être.
O Oh How I"



Pascal Quignard in Villa Amalia

28.4.06

Apesanteur

"Survint un état d'apesanteur.
Etrange état où le corps s'éloigne légèrement de lui-même. Où tout s'assèche dans le monde interne.
Où la lucidité ou du moins le vide commence à se mouvoir dans l'espace du crâne.
Où, si la souffrance persiste, elle fait moins souffrir.
Où au moins la souffrance fait souffrir d'un peu plus loin à partir de corps lui-même."

Pascal Quignard in Villa Amalia

Souvenirs de petite bouche, Quignard

Même époque, même souvenir

"Au terme du déjeuner du dimanche 11 janvier, Madame Hildenstein apprit à sa fille âgée de quarante-sept ans qu'il n'était plus question, lorsqu'on coupait le roquefort, qu'elle prît toute la moisissure.
-La moindre des choses, ma petite, est que chacun prenne sa part de blanc.
Elle avait froncé le front.
Alors ses yeux bretons étaient devenus bleu intense.
Bleus comme la peau d'un requin."

Pascal Quignard in Villa Amalia

Echos

Tu es Anne. Plus précisément : tu es celle qui ne voulais pas qu'on l'appelle Eliane...
-C'est vrai, murmura-t-elle. C'était..
-Que dis-tu ?
Elle parla plus fort :
-C'est vrai. C'était mon nom jadis.
........................................................................
Alors elle mit sa tête entre ses mains. Elle se mit à souffrir sans retenue dans le salon, confortablement assise entre le secrétaire et les rideaux, entre la pousière et la poussière, pendant qu'il faisait griller le pain.
.........................................................................
-Pourquoi faudrait-il que j'accepte que tu casses tout ce qui a été jusqu'ici notre vie ?
-Parce que j'ai quarante-sept ans. Il y a quarante-sept ans que je suis née dans une petite ville de Bretagne où on portait de longues nattes dans le dos et où on tirait ses chaussettes jusque sous les genoux. Voilà la pauvre raison. Je n'ai plus le droit à l'erreur.
-Et moi je suis l'erreur ?
-Tu n'es pas une erreur, Thomas. Tu es une faute. Tu es tout simplement une faute.
...........................................................................
Villa Amalia, Pascal Quignard

27.4.06

L'exploration du détroit d'Almassy

https://sadside-melissa.blogspot.fr/2006/04/jacket.html

"J'avais 27 ans la première fois que je suis mort. Il y avait du blanc partout. C'était la guerre, je me sentais vivant. Mais j'étais mort. Parfois, je crois qu'on vit des choses juste pour pouvoir dire qu'elles sont arrivées. Pas à quelqu'un d'autres, mais à moi. Parfois, on vit pour défier le destin... Parfois, la vie ne commence vraiment que lorsqu'on sait qu'on va mourir. Que tout peut s'arrêter, même quand on en a le moins envie. L'important dans la vie, c'est de croire que tant qu'on vit, il n'est pas trop tard... Il vaut mieux affronter les cauchemars éveillée qu'endormie. "

in "The jacket" de John Maybury

J'avais 46 ans la première fois que je suis morte. Il y avait du noir partout. C'était la guerre, je me sentais morte. Mais j'étais vivante. Parfois, je crois qu'on vit des choses juste pour pouvoir dire qu'elles sont arrivées. Pas à quelqu'un d'autres, mais à moi... Il vaut mieux affronter les cauchemars éveillée qu'endormie. Parfois, devenir amnésique est une nécessité. Pour pouvoir affronter un nouveau destin. Pouvoir croire de nouveau au puits du regard. Au bras qui s'enroule à l'épaule. A la tête en son creux. A l'exploration du détroit d'Almassy.



Serendipity

J'ai découvert le nom de l'univers dans lequel je vis.
Serendipity
Quelques extraits ici d'un article plus long de Jacques Lévy,

"Ce mot anglais désigne à la fois la faculté de faire des trouvailles par hasard, la réalité de ces découvertes ainsi que le dispositif les rendant possibles...
En multipliant les ressources dans lesquelles puiser tout en les mobilisant selon des filtres appropriés, on peut créer des conditions plus favorables pour l'émergence d'innovations. On est ici dans la gestion d'une contradiction fort stimulante entre l'impossibilité de programmer la création et les tentatives pour la rendre possible, d'où l'idée d'augmenter ce qu'on pourrait appeler la productivité du hasard.
...Le voyage est beaucoup plus important que la destination, ou plutôt : dans la définition des conditions du voyage réside une grande part des caractéristiques de la destination effective.
On pense aux vers d'Antonio Machado : « Caminante, no hay camino,/se hace camino al andar » [« Voyageur, il n'y a pas de chemin/ Le chemin se fait en marchant »] ou à la sentence inscrite sur le mur d'un monastère de Tolède : « Caminantes no hay camino, hay que caminar », [« Voyageurs, il n'y a pas de chemin ; il faut avancer »], à laquelle une main anonyme a ajouté : « Soñando » [« En rêvant »] "

Jacques Lévy, "Serendipity.", EspacesTemps.net, Mensuelles, 13.01.2004
http://espacestemps.net/document519.html

25.4.06

Le maître du thé.

Le cuisinier entre dans le salon rouge où il dispose, sur la grande table, des tasses, une théière et une grande assiette de petits fours. Je prends place, dans la pièce déserte, tout en calculant une stratégie d'approche des sablés au chocolat.
Au fil de mes visites, je redécouvre la beauté de ce lieu que l'avancement des travaux affirment chaque fois un peu plus. Rien n'y est évident, tout y est à sa place; la couleur des murs, rouge, verte, bleue; le vitrail au sommet du grand escalier de pierre; les sculptures des arcanes du Tarot, disséminées dans le parc...
Un à un, mais à peu de distance, des gens entrent et prennent place autour de la table, sans hiérarchie. Employés, invités, ils me saluent d'un signe de tête. Les minutes succèdent aux secondes sans que personne ne prononce une parole. On attend le maître des lieux.
Longtemps j'ai retardé, puis attendu ce moment. Je suis venue de nombreuses fois chez lui, jamais encore je ne l'ai revu depuis le très bref entretien où il m'avait passée commande. Je ne connais de lui que ses courriers, des fax illisibles faits de deux mots gribouillés et de graffitis tortueux, et les mémos assassins placardés dans tous les espaces communs de son château. Au début, j'évitais soigneusement de le rencontrer, choisissant judicieusement mes rendez-vous avec sa secrétaire; il n'existait pour moi qu'à la troisième personne. Mais, lors d'une grève de la Poste, je m'aperçus que ses courriers, souvent plusieurs dans la même semaine, me manquaient.
Il arrive. Sa démarche est souple, légère, comme celle d'un danseur. Il vient s'asseoir à la place libre au bout, juste à ma droite. Il a rasé ses boucles brunes, ses cheveux sont teints en blanc, très courts, à la brosse, impeccables. Très élégant dans un costume noir, chemise blanche, cravate fine, même assis, il paraît très grand, se recroqueville. Il m'aperçoit, ses grands yeux clairs me scrutent avec égards (quelle en est la couleur ?). Il me salue. Sa voix est douce, son accent indéfinissable. Il s'inquiète poliment de mon bon voyage.
Je ne savais presque jamais, et je ne sais toujours, si ses lettres m'étaient personnellement adressées ou si elles faisaient partie d'un mailing; elles étaient très souvent sans rapport avec les travaux en cours; certaines, fragmentées, se succédaient en vagues; il y avait parfois seulement une date, un mot, un nom. Comme pour X-Files, je me mis à attendre l'épisode suivant sans savoir si ce serait la suite ou une nouvelle aventure ...
C'est le comptable qui effectue la ronde des tasses. Lait ? citron ? L'air de rien, je grignote en mettant en place ma stratégie. Une conversation commence sans conviction, au sujet des dernières nouvelles. Lui écoute, très attentif, presque doux. Soudain il prend la parole, la conserve, d'une voix posée à l'accent indéfinissable. Des paroles dures, précises, mais sans colère. Longtemps. Puis il se tait. Dans le silence, le comptable propose une autre tasse. De mon côté, les sablés au chocolat s'épuisent. Lui ne regarde personne, les yeux tournés vers les montagnes enneigées. Quelqu'un prend la parole qui rebondit de ça- de là . Qu'en pense-t-il ? Tous se tournent vers lui. Mais il a disparu. Il est parti, inaperçu. Un à un, à peu de distance, chacun quitte alors la table, s'excusant de devoir vaquer à ses occupations. Je reste seule, avec ma dérisoire stratégie, en léchant sur mes doigts les dernières traces de chocolat...

Hors-saison



"C'est le silence
Qui se remarque le plus
Les volets roulants tous descendus
De l'herbe ancienne
Dans les bacs à fleurs
Sur les balcons
On doit être hors-saison

La mer quand même
Dans ses rouleaux continue
Son même thème
Sa chanson vide et têtue
Pour quelques ombres perdues
Sous des capuchons
On doit être hors-saison

Le vent transperce
Ces trop longues avenues
Quelqu'un cherche une adresse inconnue
Et le courrier déborde
Au seuil des pavillons
On doit être hors-saison

Une ville se fâne
Dans les brouillards salés
La colère océane est trop près
Les tourments la condamnent
Aux écrans de fumée
Personne ne s'éloigne du quai

On pourrait tout prendre
Les murs, les jardins, les rues
On pourrait mettre
Aux boîtes aux lettres nos prénoms dessus
Ou bien peut-être un jour
Les gens reviendront
On doit être hors-saison

La mer quand même
Dans ses rouleaux continue
Son même thème
Sa chanson vide "où es-tu ?"
Tout mon courrier déborde
Au seuil de ton pavillon
On doit être hors-saison...

Une ville se fâne
Dans les brouillards salés
La colère océane est trop près
Les tourments la condamnent
Aux écrans de fumée
Personne ne s'éloigne du quai"

Francis Cabrel

24.4.06

Destin

Un élu, c'est un homme que le doigt de Dieu coince contre un mur.
Jean-Paul Sartre

Jonquilles

J'ai acheté des jonquilles dans un pot. Minuscules, délicates. Je n'avais jamais acheté les premières jonquilles, je les avais en offrandes.
Ils ont démonté l'échafaudage. La lumière est revenue dans le salon. Le jour des jonquilles, la lumière est revenue et je peux vivre à nouveau en pleine lumière. Les travaux de réparation sont finis.https://sadside-melissa.blogspot.fr/2006/04/jonquilles.html

20.4.06

la petite valise rouge

Ce jour là, Marie l'a vu passer de son balcon. Il traînait la petite valise rouge, celle que nous avions achetés ensemble pour nos week ends en amoureux et nos concerts. Dans l'autre main, il tenait la valise de son tsouras. Cet instrument, je l'avais poussé à l'acheter à Kalamata. J'avais chanté à ses accords la chanson de mariage de l'amandier et de la cannelle.
C'est ainsi qu'il est parti, il y a presqu'un an.
C'est ainsi que mon cœur s'est brisé aux éclats.
Cette scène me revient en boucle les jours mauvais, étrangement non pas depuis le couloir du 22, mais depuis la vue du balcon de Marie.

Souvenirs de petite bouche, 2


illustration de Claire Cour


Confiture

pour Victor

Dans le grand placard de la cuisine, tout en haut sur la dernière étagère, juste à côté d'une bouteille en forme de torréador, il y avait un grand bocal, très grand. Il était fermé par un couvercle de verre tenu par un cercle de fer et du caoutchouc qui tirait la langue. Au fond du bocal, tout au fond, il y avait de la confiture de fraises. C'était de le la confiture de fraises de ma grand-mère. On voyait les fraises, entières, mais elles étaient toutes foncées, toutes sombres, comme les habits de ma grand-mère qui était si loin. Je n'arrivai pas à voir le rapport avec la confiture et ma grand-mère qui était si vieille, si loin et que je n'avais jamais vu ramasser de fraises. Quand on prenait de la confiture, il fallait une grande cuillère, et râcler au fond, tout au fond. C'était la meilleure confiture du monde, même si elle était toute foncée, toute sombre.

19.4.06

Erri de Luca, 2

"Je lis de vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux. Parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux. Puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d'un pont avec les suicidés. Ils devraient mourir n'importe comment, sauf d'ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l'étagère."
Erri de Luca, Trois chevaux

Erri de Luca, 1

"Celui qui écrit à la possibilté de rassembler les gens autour de lui, de leur donner rendez-vous dans la page, dans l'écriture,dans sa tête. On devient un lieu, un lieu de rencontre pour d'autres. Pour moi ce sont des personnes. Pour le lecteur ce sont des personnages imaginaires qui appartiennent au roman. Mais moi, je suis le lieu où se retrouvent des êtres. Il faut certes des mots. Mais les paroles dépendent moins de l'habileté de l'écrivain que de sa capacité d'écoute.J'écoute les mots des autres qui sont de retour. j'entends leur voix. Et ça m'est facile. pour moi, écrire n'est pas un travail. C'est une façon d'être en compagnie et de rassembler des absents."
Erri de Luca, Trois chevaux

Souvenirs de petite bouche, 1


illustration de Claire Cour

Pain d'épices.

Pour aller chez ma marraine, on entrait par la porte d'un immeuble, on montait deux étages. A l'entresol, s'ouvrait un porche inondé de lumière qui donnait sur une grande cour. Au fond de la cour on empruntait une autre porte et un escalier en colimaçon. Au bout d'un moment, on s'arrêtait et on ouvrait la porte d'un appartement. On arrivait dans la salle à manger. En ouvrant les volets, l'on voyait d'innombrables fenêtres dont les façades nous entouraient de loin, nous protégaient. Sur le mur de la salle à manger, il y avait une carline, un grand chardon ramassé dans un désert provençal, rempli de foin doré comme un soleil cœur d'artichaut. Ma marraine m'expliquait qu'il prévoyait le temps. Pour goûter, il y avait toujours du pain d'épices. Avant, je n'avais jamais mangé de pain d'épices. Il fallait le tartiner de beurre avec un couteau de grand, et je ne sais quoi dans ces grands bonheurs était le préféré, du pain d'épices, du beurre, du couteau de grand ou du soleil cœur d'artichaut.

Souvenirs de petite bouche

Bien avant le père du chanteur et sa blère, j'avais écrit de petits textes gastronomiques sur l'enfance. Je les blogge ces jours-ci au gré de ma fantaisie butineuse.

Yassas

Je suis Melissa Likos.
Samedi, je suis morte et j'ai ressuscité.
Ca fait un drôle d'effet, demandez à Lazare...
Je suis passée de l'autre côté du miroir. En passant, on ne peut rien emporter. Tant mieux.
Que des souvenirs. C'est peut-être encore trop.
Quoi de mieux qu'un blog pour parler de ce qui fut, est, et sera.
Je suis Melissa Likos.