3.5.06
Souvenirs de petite bouche, 3.
illustration de Claire Cour
Petit Lu.
Il fallait d'abord ouvrir le paquet. Il était rouge et blanc, avec le dessin du petit Lu. Il y avait une languette rouge qu'il fallait tirer pour obtenir un bracelet blanc. Il y avait toujours un carré de papier ondulé avec des petits tubes qui barrait l'entrée. Quand on croquait dans le biscuit, il ne fallait pas se tromper : d'abord, il fallait mordre le golfe d'Aquitaine sans casser la Bretagne et le Finistère. Puis il fallait croquer la Manche, les Ardennes et le Jura suisse. La Méditerranée, c'était facile parce que je la connaissais bien. Souvent le biscuit se cassait pour la Manche ou pour les Ardennes, et il fallait recommencer. C'était beaucoup plus difficile que de manger d'un coup la couche de confiture des biscuits Trois-Chatons; mais je ne sais pas si c'était plus facile que de décoller le premier étage du BN sans le casser pour arracher le chocolat avec les dents. En tout cas, on n'y arrivait jamais du premier coup.
Chez Marie-Hélène, il y avait aussi des biscuits, mais c'étaient des Petits Bruns. Ce n'était pas bon du tout, et on ne pouvait même pas faire la carte de France.
L'autre jour, des amis ont ouvert pour le thé un paquet de petits Lu. Je n'en avais pas vu depuis une éternité. La première chose que j'ai faite, c'est de croquer le golfe de Gascogne. Le biscuit se casse en deux. Deuxième essai, le biscuit se fracasse, mes amis vont se demander ce que je fabrique. On a du changer la composition et rendre la pâte friable... Jamais deux sans trois... patatras ! Fini la carte de France et la gastronomie ? Et oui, j'ai deviné et c'est irrémédiable : ma bouche a trop grandi, mes mâchoires se sont écartées, mes dents de sagesse ont poussé... Il me faudrait un grand Lu, de la taille de ceux en céramique dont on fait des dessous de plat pour les touristes, à Nantes...
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