27.8.15

Les partisans et les livres (5) : littérature française

"Le soir, je m'assis par hasard auprès de Werner qui me confia que les jours passés au ghetto avaient été pour lui des jours étonnamment bénis. Il avait lu les classiques de la littérature française, l'un après l'autre, et amélioré sa connaissance de la langue étudiée consciencieusement au lycée.
"C'est étrange, j'étais retranché à l'intérieur de moi-même, hermétique à la souffrance autour de moi. Mes parents et mon frère luttaient comme des désespérés pour obtenir une miche de pain et moi, envoûté par un diable, je ne lâchais pas mes livres.
"Lorsque j'étais affecté à une brigade de travail, je cachais un livre dans ma poche pour lire pendant les pauses. J'étais fasciné par Maupassant et Flaubert. Plus tard, quand j'ai eu entre les mains le premier volume d'A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, mon bonheur ne connût plus de limites.
"Mes parents ne me faisaient aucune remontrance sur cette frénésie et me regardaient parfois avec émerveillement. Mon frère, lui, me lança qu'il était interdit de se réfugier dans les livres en ce moment si tragique. Sa remarque ne m'empêcha pas de continuer d'acheter des livres aux gens sur le point d'être déportés vers les camps. A cause de cette accoutumance, je n'ai presque pas vu mes parents et mon frère durant les derniers jours au ghetto." "
Les partisans, Aharon Appelfeld, ch. 34

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