3.11.25

battements de cœur (2): naufrage encore

 "je crois qu'en devenant parent on s'embarque pour une sorte de naufrage annoncé. Si ce n'est pas à cause de la houle, ce sera à cause d'autre chose, du vent, d'une mauvaise rencontre. Ca me parait si compliqué que malgré tous nos efforts, toute l'attention qu'on y met, on finit tôt ou tard par tomber à l'eau. "
L'île des battements de cœur, Laura Imai Messina, p194, ed. 10-18

2.11.25

battements de cœur (1) : naufrages

 "La vie est une succession de naufrages.
L'île où nous accostons, l'état de notre bateau ou de notre radeau de fortune, nos bras, le seul objet conservé de notre vie passée : tout prend de l'importance. Parce qu'à notre arrivée sur la plage, quelle que soit l'existence qui l'a précédée, tour se transforme en souvenir.
Quelle que soit la somme de nos douleurs, il arrive que la vie recommence à zéro. "
L'île des battements de cœur, Laura Imai Messina, p37, ed. 10-18

8.10.25

Nous mourons tous par petits bouts : le frère que je n'ai jamais eu (1)

 Il pleut sur Nantes
Donne moi la main
Le ciel de Nantes
Rend mon cœur chagrin


Voici comment avant-hier j'ai appris par un texto de ma belle-sœur que mon frère de Nantes a été malade, puis mourant, puis mort, puis enterré.
A tous les habitués de mon blog qui pourraient penser qu'il s'agit d'une nouvelle fiction ici des méandres de mon imagination, je leur affirme qu'il n'en est rien. C'est la  vérité vraie, la vérité toute nue.
A tous ceux qui pourraient penser que j'ai du bien mal agir pour mériter ce traitement, j'avoue sincèrement mon entière ignorance. 
Je n'avais pas de nouvelle de mon frère depuis plusieurs années, mais nous n'étions pas fâchés. Nous n'avions tout simplement plus rien à nous dire. Mais nous n'étions pas même vraiment en froid, puisque la dernière chose que je lui ai envoyée est un etegami de l'année du tigre.

Peut-être est-ce pour cela, lui qui a toujours eu le sens de l'humour, que l'idée lui est venue de filer à l'anglaise ...
J'ai pensé tout d'abord à un spam, une mauvaise blague vu le contenu. Quelqu'un qui ne me/le connaissais/t pas bien. En effet, je n'ai jamais eu de frère Jacques. Le seul frère Jacques que j'ai connu était celui de la comptine. Mon frère, aux yeux de toute la famille, était Jacky. 
Peut-être est-ce pour cela que le seul sentiment que j'arrive à ressentir est la colère. Jacques est peut-être mort, qu'en est-il de Jacky ?

(à suivre)




3.10.25

passer une BONNE NUIT à TOKYO (3) : highball

 "Le highball était frais comme tout. Servir une préparation bien glacée était ce qui comptait le plus pour Maeda, quand il posait la boisson sur le comptoir, le gaz carbonique et la paroi glacée du petit verre s'associaient pour dégagerune fine brume.
"Voici ! "
D'une voix à peine audible, Maeda signala à Eiko qu'elle était servie. Elle tendit sa main droite qu'elle tenait repliée contre elle pour saisir le verre, à l'instant où ses doigts l'effleurèrent, elle eut un geste de recul, surprise par ce contact glacial.
D'un ambre presque noir, la boisson était surmontée d'un quartier de citron découpé en forme de croissant.
Charmée par ce parfum frais, Eiko rapprocha le verre pour le porter à sa bouche. Elle posa les lèvres sur le rebord glacé et but une première gorgée.
Ce n'était pas de l'alcool qu'elle buvait, non, elle avait l'impression d'avoir en bouche le temps même de ce bar paisible et désert dans la nuit.
"Comme c'est bon" dit-elle malgré elle, tout au bonheur de sentir la nuit de Tôkyô se propager en elle.   "

Bonne nuit Tokyo, YOSHIDA Atsuhiro, ed. Picquier Poche, chapitre La dernière pièce

2.10.25

passer une BONNE NUIT à TOKYO (2) : c'est beau, c'est bon !

  " "Que c'est bon !

 Elle songea naïvement que c'était super qu'il existe un mot aussi commode que bon. C'était grâce à lui qu'elle pouvait exprimer cette sensation ineffable.
Les professionnels des décors au cinéma n'arrêtaient pas de le répéter : "Surtout ne pas employer le mot beau à la légère."
Beau avait fini par devenir un signe qui ne véhiculait plus guère de sens. Idées, impressions, perceptions, étaient englouties par ce vocable fourre-tout, le plus important passait à la trappe.
Ainsi, quand on travaillait pour la section décors et accessoires, on se gardait d'employer beau à tout bout de champ. Ses aînés n'avaient cessé de le lui répeter.
Mais, d'après l'expérience de Mitsuki, certaines choses ne pouvaient se transmettre à grands renforts de mots, autrement dit, elle était persuadée que la plus habile des expressions pouvait avoir pour effet paradoxal de banaliser ce dont on parlait.
Dans ce cas-là, elle dérogeait à la règle d'or de ses aînés, et en y mettant tout son cœur, elle déclarait : "C'est une belle fleur", Il a un beau profil".
Dans le même ordre d'idée, elle se permettait de dire : "C'est bon.""

Bonne nuit Tokyo, YOSHIDA Atsuhiro, ed. Picquier Poche, chapitre Pluie de plumes la nuit

1.10.25

passer une BONNE NUIT à TOKYO (1) : whisky coca, recette

 " La préparation était la simplicité même.
("...)Remplir à ras bord le verre refroidi de glace grossièrement broyée, mélanger sans attendre avec un pilon. Vérifier que le verre est froid à s'en couper les lèvres, jeter la glace, verser la quantité d'un whisky si gelé qu'il s'écoulera à peine de la bouteille. Ajouter le double de coca, remuer rapidement...
Et c'est prêt ! " "

Bonne nuit Tokyo, YOSHIDA Atsuhiro, ed. Picquier Poche, chapitre Pluie de plumes la nuit

26.5.25

Fête des mères



Hier c'était la fête des mères. Tout s'est bien passé. Rien à signaler. Une belle journée de balade dans la Haute Provence en fleurs. Café gourmand dans une petite auberge perdue.
Mais de ma fille aucun message, kloum, nada.
Cela devient une habitude, et, maintenant, j'ose l'avouer, à la fois une déception et un soulagement. Rien que je redoute plus qu'un message laconique comme j'ai reçu déjà, où même l'IA aurait fait mieux. 
C'était quand même ma fête. De droit. Du discours même de l'intéressée qui a 17 ans a quitté le domicile matriarcal : devant l'aveu de mon échec, elle déclarait tout de go qu'il n'y avait pas d'échec, je n'avais fait d'elle ni une ratée ni une droguée, nous étions juste incompatibles. 
Dont acte. Venant d'elle, c'est peut-être son seul mensonge en lequel je veux encore croire.
Longtemps je n'ai pas voulu d'enfant, et quand j'ai changé d'avis je n'étais pas sûre de moi. J'avais peut-être raison, puisque la vie de parents a brisé mon couple vieux de trente ans sorti du nombrilisme. Pourtant, il y a eu beaucoup de moments de grand bonheur, de souvenirs illuminés par son sourire et sa joie de vivre. Même si nos relations n'ont jamais été vraiment simples. On va dire que c'était le choc des caractères entre capricorne et sagittaire ... Lorsque ma fille a eu dix ans, nous nous sommes retrouvées abandonnées du jour au lendemain, commença une période terriblement noire pour moi, accentuée par la situation de parent isolé avec tous ses inconvénients : revenus, décisions à prendre, réactions à avoir devant tous les problèmes de l'adolescence accrus par tout ce qui est caricature du père à la fois démissionnaire et revendicateur. De la vie quotidienne je n'ai gardé que peu de souvenirs, j'ai du beaucoup scotomiser. Mais mon amour maternel, chevillé à un solide devoir éthique, ne m'a jamais fait lâcher.

A partir de ses dix-sept ans, après son départ, j'ai vécu de longs mois sans aucune nouvelle. C'était affreux, mais d'un autre côté il en a peut-être mieux valu ainsi, car si j'avais su ce qui se passait dans sa vie, j'aurais été encore plus tourmentée. Et puis elle a volontairement refait surface, à dix-neuf ans, et nous avons repris des relations en dents de scie, alternant entre chaud et froid, mais distantes puisqu'elle avait rejoint la Belgique puis le Nord. Et puis soudainement, il y a trois ans, tout a changé, il s'est installé une complicité que je n'avais jamais connue, une intimité délicieuse faite de petits échanges quotidiens, de petits bonheurs comme je les aime. Presque un an de pur bonheur. Je n'ai jamais su pourquoi cela avait changé mais je n'ai pas demandé, je ne cherchais pas à savoir, c'était tellement bien que je ne voyais pas pouquoi ça changerait. Et puis soudain patatras, le retour du froid. Et tout s'est désintégré comme si cela n'avait jamais été. Sans aucune raison apparente.  Sa soupape a laché et elle a tout déballé. Cette vision insupportable de moi, jusqu'à ma façon de manger, de m'asseoir. Sans doute de respirer, sans doute d'être. Des revendications pour que je fasse des excuses à propos d'événements anciens, déformés ou dont je ne me souviens même pas avoir été. Mon inutilité crasse : elle n'a aucun besoin de moi, puisqu'elle a un compagnon, un chat et une famille. 
C'est vrai, je ne peux rivaliser; je n'ai plus de chien, et pas de famille. Cela m'évoque la réflexion de mon ex lors de sa batmitzva : "la famille juive c'est nous".
Et depuis c'est comme ça. Après les injures, plus rien.
Dimanche c'était la fête des Mères.
Personne ne m'enlèvera mon statut de mère. Tout le monde a une mère : les assassinés, les assassins en série, les otages, les preneurs d'otages, les persécutés et les salauds, les exilés et les voisins. La plupart de celles-ci souffrent, Mater Dolorosa, il y a même un article dans Wikipedia.
Pourtant je ne m'identifie pas à la mater dolorosa. Je veux vivre. Peu importe ce qui arrivera. Peut-être reviendra-t-elle, bientôt, plus tard quand elle sera mère elle-même et qu'elle aura un peu compris le process, peut-être avec l'intention de reprendre la boucle infernale de oui-non dont je ne veux plus. Peut-elle ne reviendra-t-elle jamais. D'autres ont vécu cela : disparition volontaire, exil au fin fond des Amériques où on partait au siècle dernier sans communication possible.
I will survive.
Dimanche c'était la fête des Mères.
Je me suis faite un cadeau : je me suis offert une jolie bague, un anneau coloré de pierres multicolores, une alliance. Symbole de l'alliance avec moi-même : rester fidèle à mon amour, à mon éthique, et à la vie des petits bonheurs. 

22.5.25

ABSENCE PRÉVISIBLE

 Dimanche, j'ai organisé dans ma synagogue une conférence qui s'intitulait "QU’EST-CE QU’UN GÉNOCIDE ? DÉFINITIONS ET (MÉS)USAGES". Elle était faite par un jeune philosophe extrêmement talentueux et directeur de collection chez Calman-Levy, Emmanuel Lévine. La conférence était à la fois extrêmement documentée, les éléments exposés indiscutables car basés sur des définitions juridiques référencées, mais aussi extrêmement délicate, sensible. La majorité des spectateurs en fut fort bouleversée et en même temps a acquis un savoir concret sinon rassurant par ces temps tourmentés.
J'avais bien préparé mon affaire, et le public était nombreux pour cette sorte de sujet.
Mais j'ai noté : les spectateurs, des Juifs, rien que des Juifs.
J'avais moi-même invité de façon détaillée et argumentée toutes les personnes de ma connaissance qui ne fréquentent pas ma synagogue  où la conférence avait lieu, et des très proches, presque toutes n'étaient pas juives. PERSONNE n'est venu. Est-ce qu'il faisait trop beau ? Est-ce que le sujet était trop angoissant ? Est-ce que le bal aux Mais était plus tentant ? En tout cas, tout le monde avait piscine. De plus PERSONNE ne s'en est excusé, ni même ne m'en a parlé.
Voilà, c'est comme ça. Est-ce que j'en suis étonnée ? Même pas. Je pense à certaines de mes relations qui me reprochent de m'enfermer dans ma communauté. Hum hum. A l'heure où un jeune couple assassiné n'est même pas vraiment considéré comme de "vraies" victimes par une catégorie du peuple français, "oui mais avec tout ce qui se passe à Gaza" , plus rien ne m'étonne. Est-ce que je vais leur en parler, me fâcher, ou me révolter, même pas, je n'ai aucune envie de mettre de l'énergie dans ce chantier inutile. La plupart doivent penser que Gaza c'est une terre de Génocide sans creuser davantage, les autres ne plus vouloir entendre parler de tout ça, ça les gave, d'autres sont au fond indifférents , ça les regarde si peu, ils ont autre chose à faire, ils ont piscine.
En tout cas, pour moi,ce fut un moment fort et très constructif. La question a été réellement pesée et soupesée : y a-t-il un génocide à Gaza. Je ne donnerai pas la réponse ici. Ceux qui y étaient se sont fait une idée claire. Ceux qui n'y étaient pas, vous n'aviez qu'à venir.


26.4.25

Nissan 5785, j'ai passé la Mer Rouge (1)


Nissan 5785, j'ai passé la Mer Rouge. Cette année, l'évocation du fait que, chaque année, nous ne faisons pas que lire le récit du départ de l'Egypte, mais que nous accomplissons nous-mêmes réellement ce rite, est devenu pour moi une réalité incontournable. Partir, parce qu'on ne peut rester. Partir, pour rester soi-même, pour sauver sa "peau" c'est-à-dire son âme. Partir en laissant derrière soi les "proches" qui refusent de suivre, ceux qui ne se sentent pas concernés mais pourtant "risquent la mort". Prendre la route avec une espèce de famille recomposée, mais la seule famille vraie, celle du cœur. Aller droit devant soi, déterminée sans doute, mais avec encore un peu en soi le syndrome de la femme de Loth, se retourner intérieurement sur ce qui fut. Non pas comme un regret, mais comme ces bagages qu'on laisse sur sa route car il faut s'alléger pour continuer le voyage au désert. 

9.4.25

Murs incertains (41) : bibliothèque immatérielle

"
Sur de hautes et longues étagères, des écrits de toutes époques et de tous pays étaient alignés à perte de vue. Mes yeux blessés n'étaient pas encore complètement rétablis, mais j'étais en mesure de lire tous ces livres sans aucune gêne. Parce qu'il s'agissait là d'ouvrages stockés à l'intérieur de la conscience, et que je ne lisais pas avec mes yeux, mais avec mon cœur. De l'Almanach agricole à Homère, de Tanizaki à Ian Fleming. Dans cette cité où il n'y avait pas un seul livre, c'était un plaisir sans fin que d'avoir accès librement et sans restrictions à ces livres dépourvus de formes matérielles et donc invisibles.

"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, troisième partie, chapitre 69


8.4.25

Murs incertains (40) : un faux authentique

"

"Avez-vous déjà lu le Papalagui ?"
C'est la question que m'a posée le jeune Yellow Submarine, alors que nous étions assis dans cette petie pièce au sous-sol de ma conscience, une bougie entre nous.
Oui, je l'avais lu quand j'étais jeune, mais je ne m'en souvenais pas dans les détails. Je me rappelais cependant qu'il s'agissait d'un chef d'une des îles Samoa qui racontait à son peuple ses expériences tirées de ses voyages à travers l'Europe au début du XXe siècle. 
"Oui, exactement. Mais on sait aujourd'hui que cette histoire est une fiction. C'est un écrivain allemand qui a interprété les récits d'un chef des mers du Sud pour en faire un livre. Lequel est donc un faux. A l'époque pourtant, il a été considéré comme un rapport authentique et ses lecteurs ont été très nombreux. Ce n'est pas étonnant. Car il s'agit bien d'une critique intelligente et humoristique de la civilisation moderne.
"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, troisième partie, chapitre 68


7.4.25

Murs incertains (39) : quelque chose et rien

"De l'autre côté du monde, avant de venir dans la Cité fortifiée, j'avais vu le dessin animé Yellow Submarine. Je me souvenais aussi de la musique. Mais j'avais complètement oublié le film en lui même. Nous vivons tous dans un sous-marin jaune...  Cela signifiait à la fois quelque chose et rien. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, troisième partie, chapitre 63


6.4.25

Murs incertains (38) : ce mur pouvait exister

  "
Fermina Daza ne comprenait pas pourquoi on ne la recueillait pas alors qu'elle semblait en détresse, mais le capitaine lui expliqua qu'elle était le fantôme d'une noyée qui envoyait des signaux trompeurs afin d'attirer les bateaux vers les dangereux tourbillons de l'autre rive. (Gabriel Garcia Marquez, l'Amour au temps du choléra)

L'écrivain colombien Garcia Marquez n'estimait pas nécessaire la distinction entre les vivants et les morts. Qu'est-ce qui était réel et qu'est-ce qui était irréel ? Ou plutôt, y avait-il vraiment dans ce monde quelque chose qui séparait le réel de l'irréel ?
Je pense que ce mur pouvait exister. Non, il existe, sans aucun doute. Mais il s'agit d'un mur de totale incertitude. Selon la situation et selon l'adversaire, sa rigidité change constamment. Sa forme change. A l'instar d'un être vivant.

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61


5.4.25

Murs incertains (37) : recluse

"

"Je peux faire de petits achats en ligne et me faire livrer et me faire livrer ce dont j'ai besoin pour le café. Ici, dans la rue commerçante, je trouve de quoi pourvoir à mes besoins du quotidien, ce qui m'évite de sortir souvent. Cette vie de recluse me rappelle le film tiré du Journal d'Anne Franck, celle qui vivait dans sa cachette à Amsterdam. Plafond bas et petite fenêtre...
- Mais personne ne vous pourchasse et vous n'êtes pas obligée de vous cacher. Vous vivez une vie que vous avez choisie.
-Oui, mais pour qui loge dans un si petit espace et dont les seuls allers-retours se font entre le rez-de-chaussée et le premier étage surgit inévitablement l'illusion d'être poursuivi obstinément par quelqu'un ou quelque chose, et de vivre en se cachant d'un danger imminent. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61


3.4.25

Murs incertains (36) : pizza


"
- Et après, nous allons chez moi manger quelque chose ? Je peux cuisiner un petit dîner rapide et simple . "
Elle a un peu penché la tête, plissé les paupières et réfléchi.
" Si cela ne vous ennuie pas, pourrions-nous commander une pizza ici et prendre une bière avec ? C'est plutôt de ça que j'ai envie aujourd'hui.
- Bien sûr. Une pizza, ce n'est pas plus mal.
- Une margherita, ça vous va ?
- Ca m'est égal. Décidez vous-même. "
Elle a appuyé sur un numéro enregistré dans son portable et a commandé des pizzas, comme elle en avait l'habitude? Garnies de trois sortes de champignons. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61


2.4.25

Murs incertains (35) : et si c'était vrai aussi pour Murakami ?

"
"Dans ses histoires, le réel et l'irréel, les vivants et les morts ne font qu'un, tout se mêle, a-t-elle commenté. Comme s'il s'agissait d'événements quotidiens qui vont de soi. 
- C'est ce que souvent on appelle le réalisme magique, ai-je remarqué.
- Oui, c'est vrai. Toutefois, si ces histoires relèvent du réalisme magique  selon les normes critiques, pour Garcia Marquez lui-même, ne représentaient-elle pas du réalisme ordinaire ? Car dans le monde dans lequel il vivait, le réel et l'irréel se mélangeaient tout naturellement, et il décrivait les choses telles qu'il les voyait."
Je me suis assis sur le tabouret à côté d'elle. "Vous voulez dire que dans son monde, le réel et l'irréel se juxtaposent, coexistent à valeur égale, et que Garcia marquez n'est que leur chroniqueur ? 
- Oui, je pense. Et j'adore cette posture dans ses romans. "

"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61


31.3.25

Murs incertains (34) : citation



"Elle lisait. Non pas un livre de poche mais un épais ouvrage relié. Elle l'a fermé et m'a souri. D'après son marque-page, je pouvais voir qu'elle l'avait presque terminé. 
"Qu'est-ce que vous lisez ? ai-je demandé en enlevant mon duffle-coat et en l'accrochant au porte-manteau
- L'Amour au temps du choléra, a-t-elle répondu.
- Vous aimez Garcia Marquez ?
-Oui, beaucoup. D'ailleurs, j'ai presque tout lu de lui. Mais j'aime particulièrement ce roman. Je le lis pour la deuxième fois. Et vous ?
- Je l'ai beaucoup lu quand j'étais plus jeune. Dès la parution de ses livres.
- J'aime tout spécialement ce passage.

"Fermina Daza et Florentino restèrent dans la cabine de commandement jusqu'à l'heure du déjeuner, une fois passé le village de Calamar qui, à peine quelques années auparavant, était une fête perpétuelle et n'était plus aujourd'hui qu'un port en ruine aux rues désolées. Une femme vêtu de blanc et qui agitait un mouchoir fut le seul être vivant qu'ils aperçurent depuis le navire. Fermina Daza ne comprenait pas pourquoi on ne la recueillait pas alors qu'elle semblait en détresse, mais le capitaine lui expliqua qu'elle était le fantôme d'une noyée qui envoyait des signaux trompeurs afin d'attirer les bateaux vers les dangereux tourbillons de l'autre rive. Ils passèrent si près d'elle que Fermina Daza la vit dans ses moindres détails, se découpant bien nette contre le soleil, et elle ne mit pas en doute la réalité de sa non-existence, bien qu'il lui sembla reconnaître son visage.
"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61


29.3.25

Murs incertains (33) : bonne mémoire

" Du haut-parleur s'échappait un solo de Gerry Mulligan. Je l'avais souvent entendu, autrefois. Tout en buvant lentement mon café bien chaud, j'ai fouillé dans ma mémoire et j'ai retrouvé le titre du morceau. C'était Walkin' Shoes, si ma mémoire était bonne. Il était interprété par un quatuor, sans piano, avec Chet Baker à la trompette. "


MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 60


28.3.25

Murs incertains (32) : quatre

"
Balakirev, a murmuré quelqu'un à mon oreille. Comme lors d'un examen, un ami obligeant assis à mon côté qui me soufflerait la bonne réponse. Mais oui, Balakirev. Ils étaient quatre maintenant. Quatre sur cinq. Il en manquait toujours un. 

"Balakirev" ai-je articulé à voix haute.Aussi clairement que si j'écrivais ce nom en l'air. 
"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


27.3.25

Murs incertains (31) : Tchaïkovski

"


"A quoi pensez-vous ? m'a-t-elle demandé, assise sur le tabouret à côté de moi.

- Au groupe russe des cinq, ai-je répondu immédiatement, presque par réflexe. Pourquoi donc est-ce que je ne m'en souviens pas ? Avant, j'avais les noms à ma disposition immédiate. Nous les avions appris à l'école, au cours de musique.
- Vous êtes un étrange personnage, a-t-elle redit. Pourquoi cela vous tourmente-t-il ici et maintenant ?
 - Quand je ne me souviens pas de quelque chose qu'en fait, je connais, cela me gêne. Vous ne ressentez pas la même chose ?  
- Cela me dérange bien plus quand je n'arrive pas à oublier une chose dont je ne veux pas me souvenir.
- Chacun est différent.
- Tchaïkovski appartenait-il au groupe des cinq ?
Non, car justement, ce groupe s'est constitué en réaction à la musique à l'occidentale de Tchaïkovski."

"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


25.3.25

Murs incertains (30) : groupe des cinq

Il y a eu un moment de silence. Un silence que, dans ce café fermé, j'ai trouvé pesant sur mes épaules. Afin de le briser, j'ai posé une question.
"Connaissez-vous le groupe russe des cinq ? "
Elle a légèrement secoué la tête. Avant qu'elle n'éteigne sa cigarette dans le cendrier, la fumée s'est lentement élevée.
"Non, je ne vois pas. Est-ce en rapport avec la politique ? C'est un groupe anarchiste ?
- Non, non, aucun rapport avec la politique. Il s'agit de cinq compositeurs russes du XIXe siècle."
Elle m'a regardée, l'air perplexe.
"Et... alors ?
- En fait, rien. Je voulais juste demander. Je me souviens du nom de trois d'entre eux, mais pas des deux autres. Avant, je les connaissais tous. Cela m'a turlupiné toute la journée.
- Donc, le groupe russe des cinq, a-t-elle répété en riant. Vous êtes un étrange personnage.

"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58

24.3.25

Murs incertains (29) : pur ou avec de l'eau ?

"
" Pour le whisky, je prends seulement un peu d'eau, pas de glaçons. Et vous ?Si vous voulez, je peux vous en mettre .
- Je le boirai comme vous."
Elle nous a versé à chacun un double whisky, a ajouté une petite quantité d'eau minérale et, en douceur, elle a remué le tout avec un agitateur. Nous avons trinqué brièvement et chacun a bu une gorgée."Un goût très aromatique, ai-je observé.
-On dit que le whisky de l'îe d'Islay sent la tourbe et l'air marin.
- Peut-être, en effet. Mais je ne sais pas ce que sent la tourbe."
Elle a ri. "Moi non plus.
- Vous le buvez toujours comme ça ? Juste avec un peu d'eau ?
- Parfois je le bois pur ou avec des glaçons, mais la plupart du temps, comme ça. C'est un whisky de grand prix, et ainsi, on ne compromet pas son arôme.
-Et vous ne buvez qu'un verre ?
- Oui, un seul verre. Parfois, je m'en autorise un de plus avant de me coucher mais pas davantage, sinon, je risquerais de ne plus m'arrêter. Vivre seul est un risque. Et je suis encore une débutante. "
"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


23.3.25

Murs incertains (28) : single malt

"

"- Est-ce que vous aimez le whisky ?
- Il m'arrive d'en boire, quand j'en ai envie.
- J'ai un bon single malt ici. Vous me tenez compagnie ?
- Bien volontiers. "
Elle est passée derrière le comptoir et attrapé sur l'étagère une bouteille de Bowmore de douze ans d'âge. A moitié vide.
"Un whisky de première classe ai-je commanté.
- C'est un cadeau. 
- Le whisky est-il comme un rite pour vous ?
- Oui, tout-à-fait, a-t-elle répondu. Ce sont mes petits rites secrets. Je fume une cigarette mentholée et bois un verre de single malt chaque jour."

 MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


22.3.25

Murs incertains (27) : trou de mémoire


"D'après mes connaissances limitées en musique classique, Alexandre Borodine appartenait au groupe dit des "cinq". Qui d'autre en faisait partie ? Moussorgski, Rimski-Korsakov, et je ne me souvenais pas des autres. En mettant de l'ordre dans le réfrigérateur, je tentais de me rappeler leurs noms, mais impossible. Bon, de toute façon, cela n'avait aucune importance.
Je suis parti de chez moi à 17h30. Pendant la journée, le temps était doux, annonçant déjà le printemps, mais le soir venu, un vent soudain soufflait, tellement froid qu'on aurait dit que l'hiver voulait reconquérir son territoire perdu. Les mains dans les poches de mon manteau, je me suis dirigé vers la gare. Sans raison particulière, j'ai imaginé Borodine jouant une belle mélodie dans sa tête en même temps qu'il se livrait à une expérience chimique compliquée. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


21.3.25

Murs incertains (26) : des chimistes et de la musique



"Ensuite, j'ai repassé quelques chemises et des draps en écoutant à la radio un quatuor à cordes d'Alexandre Borodine. Le repassage des draps prend du temps.
Le présentateur de la radio a expliqué qu'autrefois, en Russie, Borodine était plus connu et respecté comme chimiste que comme musicien. A mes oreilles, le quatuor à cordes ne résonnait en rien comme s'il avait été créé par un chimiste. Mais on aurait peut-être pu dire que  les douces mélodies et les suaves harmonies étaient le résultat d'une alchimie réussie."

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


20.3.25

Murs incertains (25) : nutriments

"Je me suis installé au comptoir et, comme toujours, j'ai commandé un mug de café noir et un muffin aux myrtilles. Le muffin était encore tiède, très moelleux. Il était devenu ma chair, le café mon sang. Ils constituaient avant tout une préciese source de nutriments."

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 58


19.3.25

Murs incertains (24) : salade-poêlée

"Dans la cuisine, tout en buvant le chablis à petites gorgées, j'ai préparé la salade et les spaghettis. Elle m'a regardé avec beaucoup d'intérêt. Pendant que l'eau des pâtes chauffait, j'ai finement émincé l'ail et fait sauter les calamars et les champignons dans la poêle. J'ai rapidement hâché menu dupersil. J'ai ensuite décortiqué les crevettes, tranché un pamplemousse, mélangé des herbes et de tendres feuilles de laitue à une vinaigrette à base d'huile d'olive, de citron et de moutarde. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 53


18.3.25

Murs incertains (23) : dîner improvisé

 "

"Si cela ne vous gêne pas, pourquoi ne pas aller chez moi ? Je pourrai vous cuisiner un petit quelque chose rapidement, si vous êtes d'accord."
Elle a pris quelque secondes pour considérer ma proposition et a demandé :
"Qu'est-ce que vous pourriez nous concocter ?"
Mentalement, j'ai rapidement listé les ingrédients que j'avais mis dans le réfrigérateur ce matin.
"Peut-être une salade de crevettes aux herbes et des spaghettis aux calamars et aux champignons ? J'ai aussi un chablis frais qui irait bien avec. C'est une bouteille que j'ai achetée ici, et ce vin n'est peut-être pas de la première classe."
"

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 53

17.3.25

Murs incertains (22) : fond sonore


 

"Quand j'ai allumé la radio a retenti un Concerto pour viole d'amour de Vivaldi, interprété par l'ensemble I Musici, que j'ai écouté sans vraiment l'écouter. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 52

16.3.25

Murs incertains (21) : muffin nature

"De retour du cimetière, je me suis arrêté comme d'habitude au café sans nom. J'avais l'impression d'être devenu le célibataire type d'un certain âge, qui suis ses habitudes à la manière d'un automate. Je me suis assis à ma place habituelle au comptoir. J'ai commandé le café noir habituel et un muffin nature (il n'y avait plus de muffin aux myrtilles, ce jour-là). La femme habituelle derrière son comptoir m'a souri comme d'habitude.
De doux sons de guitare jazz provenaient du haut-parleur mais je ne connaissais ni le titre du morceau, ni le guitariste. Tout en écoutant vaguement la musique, j'ai bu mon café bien chaud, dégusté le muffin que j'ai coupé en petites portions. Oui, les muffins simples avaient aussi leurs qualités. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 51

15.3.25

Murs incertains (20) : utopie colorée


"Je l'ai imaginé franchissant la porte de la Cité fortifiée, je l'ai imaginé yvivre sa vie. Peut-être était-ce "son" Pepperland. Pepperland est l'utopie colorée qui apparaît dans le film Yellow Submarine. Plutôt que de continuer à vivre dans ce monde réel qui -apparemment- ne lui offrait pas de place, ce garçon de seize ans cherchait à entrer dans un autre monde- avec tout son cœur, tout son sérieux. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 50

14.3.25

Murs incertains (19) : tea time

 "Discrètement, ne faisant entendre que de légers tintements, Mme Soeda a disposé les tasses, les assiettes et le sucrier sur mon bureau. L'ensemble a donné à cette pièce par ailleurs aride et sobre l'atmosphère élégante et raffinée d'un salon en début d'après-midi ; un quatuor de Mozart n'aurait pas dépareillé en ces instants. Sans leur sachet en papier, disposés sur des assiettes joliment décorées, accompagnés de fourchettes en argent, les muffins du café de la gare ressemblaient à de nobles et vénérables pâtisseries. Des serviettes en lin blanc pliées en triangle et un vase contenant une rose rouge auraient bien complété le tout, mais il ne fallait tout de même pas trop en demander.

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 50

13.3.25

Murs incertains (18) : service à thé

Comme prévu, c'est Mme Soeda qui est entrée dans la pièce avec un plateau rond, sur lequel étaient posées deux tasses de thé noir, des rondelles de citron et deux assiettes garnies des muffins aux myrtilles. Sans oublier un petit sucrier. Tasses, assiettes et sucrier faisaient partie d'un joli service à thé à l'ancienne, peut-être en porcelaine de Wedgwood. Les petites cuillères et fourchettes avaient l'éclat noble et délicat de l'argent. J'ai subodoré que ces objets faisaient partie des biens personnels de M. Koyasu. En tout cas, ce n'étaient pas des ustensiles que l'on s'attendait à trouver dans une petite bibliothèque municpale. Tout cela  n'était sans doute sorti qu'à l'intention d'invités choisis.

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 50

12.3.25

Murs incertains (17) : muffin




"Et comme toujours, du vieux jazz était diffusé à faible volume. Paul Desmond faisait exploser son saxophone alto. Cela m'a rappelé que, lors de ma première visite ici, le Dave Brubeck Quartet avait joué avec Paul Desmond comme soliste.
"You go to my head " ai-je dit pour moi-même.La femme, qui réchauffait mon muffin au four, a levé les yeux et m'a regardé.
"Paul Desmond, ai-je dit.
- La musique ?
- Oui. Le guitariste est Jim Hall.
-Je ne connais pas grand-chose en jazz, s'est-elle excusée en désignant le haut-parleur. C'est juste une station de jazz branchée sur le câble."
Je pouvais le comprendre. Elle était trop jeune pour apprécier le son de Paul Desmond. J'ai savouré une bouchée du muffin tiède aux myrtilles qu'elle m'avait servi et bu une gorgée de café. Tout en regardant tomber la neige par la fenêtre, j'ai écouté Paul Desmond. Une très belle composition. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 50

11.3.25

Murs incertains (16) : habitude


" Je suis allé au café sans nom près de la gare, et, comme les autres fois, j'ai bu un café bien chaud et mangé un muffin aux myrtilles tout en lisant le journal du matin, et en écoutant April in Paris d'Errol Garner diffusé par le haut-parleur du plafond. C'était devenu ma petite habitude du lundi. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 47

10.3.25

Murs incertains (15) : un sous-marin jaune (2)




"Mes recherches m'ont donné envie de revoir Yellow Submarine (plus de vingt ans s'étaient écoulés depuis que je l'avais vu et j'en avais à peu près tout oublié). Je suis donc allé à l'unique magasin de locations de vidéos, devant la gare, mais ce film n'était pas disponible. Les seuls des Beatles proposés sur les étagères étaient A Hard Day's Night et Help ! "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 47

9.3.25

Murs incertains (14) : un sous-marin jaune (1)

"Lorsqu'il ne portait pas son sweat avec l'image du Yellow Submarine, il avait un autre sweat à capuche, marron, orné du personnage du film. C'était une étrange créature au visage bleu, aux oreilles roses et à la fourrure brune. J'avais vu le film mais je ne me souvenais plus du nom de ce personnage. C'était le Nowhere Man, qui vivait au Nowhere Land. La chanson que chantait John Lennon. Malgré mes efforts, impossible de me souvenir de son nom. 
A la maison, j'ai fait des recherches en ligne sur ces personnages et j'ai découvert que le nom de cette curieuse créature au visage bleu était "Dr Jeremy Hillary Boob". Boob est pianiste, botaniste, humaniste, dentiste, physicien, satiriste ... bref, un homme capable à la fois de tout et de rien ... "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 47

7.3.25

Murs incertains (13) : version relaxante, volume agréable



"Depuis une enceinte au plafond était diffusée une musique de jazz relaxante, à un volume agréable. Un trio avec piano jouait une belle interprétation de Star Eyes, mais  je n'ai pas reconnu qui était le pianiste. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 46

6.3.25

Murs incertains (12) : littérature japonaise


 

Prenez par exemple Avant l'Aube, de Tozon Shimazaki. Il pourrait vous le réciter mot pour mot, du début à la fin. Il mémorise tout, même quand il s'agit, comme dans ce cas, d'un roman assez volumineux. Mais je ne pense pas qu'il comprenne ce que le livre essaie de transmettre au lecteur ou ce qu'il signifie dans l'histoire littéraire japonaise.

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 45

5.3.25

Murs incertains (11) : titre retrouvé



"Et puis, tout à coup, aussi soudainement que si un oiseau avait surgi d'un fourré à mes pieds, je me suis rappelé le titre du standard de Cole Porter que javais entendu dans le café près de la gare :  Just One of Those Things. Et, comme une incantation qui se serait collée aux parois de ma conscience, sa mélodie se répétait sans fin. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 43

3.3.25

Murs incertains (10) : titre oublié



"Un vieux standard de Cole Porter, interprété par le Dave Brubeck Quartet, était diffusé à faible volume depuis un petit haut-parleur du plafond. Le solo de saxophone alto de Paul Desmond qui fait penser à un cours d'eau claire. Même si je connaissais bien le morceau, je ne parvenais pas à me souvenir du titre. Enfin, sans connaître le titre, c'était juste la musique idéale à écouter lors d'une matinée tranquille d'un jour de congé. Une belle et apaisante mélodie qui avait résisté à l'épreuve du temps. Je l'ai écouté distraitement pendant un moment, sans penser à rien. " 

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 42

1.3.25

Murs incertains (09) : pierre de qualité


C'était une pierre tombale très lisse, sans aucun ornement. Plate et lisse comme le monolithe de 2001 : l'Odysée de l'espace.  

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 42

27.2.25

Murs incertains (08) : spoiler

" Même adolescent, il m'arrivait de feuilleter la Bible de temps en temps. A un moment donné, c'est devenu une habitude. La lire fait réfléchir et j'en ai retiré bien des enseignements. Ce verset se trouve dans les Psaumes : "l'homme est semblable à un souffle, ses jours sont comme l'ombre qui passe"."
M. Koyasu s'est interrompu, il a ouvert la porte du poêle et a remis en ordre le feu avec la pince. Puis il a lentement répété le psaume comme pour se convaincre de quelque chose. "L"homme est semblable à un souffle, ses jours sont comme l'ombre qui passe."Ah... Vous comprenez ? L'homme n'est qu'un souffle éphémère, et ce qu'il est durant sa vie s'efface comme une simple ombre. Ah... Ces mots m'ont toujours captivé, mais je n'ai vraiment compris leur sens qu'après ma mort. Oui, nous les humains, ne sommes qu'un souffle éphémère. Et à présent que je suis mort, je n'ai même plus d'ombre avec moi."
J'ai regardé M. Koyasu dans les yeux sans dire un mot.
"Vous êtes toujours en vie, a-t-il dit alors. Alors faites-en le meilleur usage possible. Parce que vous avez toujours votre ombre noire avec vous. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 38

26.2.25

Murs incertains (07) : cérémonie du thé (03)

Nous n'avions besoin ni de sucre, ni de lait, ni de citron ou de quoi que ce soit d'autres pour ce thé. Tel qu'il était, il était parfait. La température était également idéale. Le thé lui-même était fort, parfumé, ardent et raffiné. Il contenait quelque chose qui calmait, apaisait et caressait les nerfs. Un ajout n'aurait fait qu'amoindrir sa perfection, tout comme la lumière du soleil dissout l'épais brouillard matinal. 

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 36.

25.2.25

Murs incertains (06) : cérémonie du thé (02)


Concentré et grâce à une horloge interne spéciale, M. Koyasu semblait connaître le moment optimal pour que le thé soit prêt.  Pour cela, il n'avait nul besoin d'aiguilles sur sa montre.

Lorsque cet instant-là était arrivé, M. Koyasu, comme libéré d'un sortilège, a abandonné sa posture rigide et il est passé à l'action. Il a versé le thé dans les deux tasses préchauffées, il en a pris une, en a inhalé le parfum jusqu'à ce que les informations neuronales soient transmises à son cerveeau et, enfin, il a hoché la tête de satisfaction. Les différents étapes avaient été franchies avec succès. 

"Ah...oui, il m'a l'air bon. Je vous en prie, buvez", a t-il déclaré

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 36.

18.1.25

Murs incertains (05) : cérémonie du thé (01)


 

"Voulez-vous une tasse de thé ?

- Oui, volontiers" ai-je répondu après un temps d'arrêt. Je me suis demandé si je pourrais me rendormir après avoir bu si tard une tasse de ce thé pissant. Mais j'en avais vraiment envie, et comme d'habitude je n'ai pas pu résister à la perspective de l'arôme du thé fraîchement infusé de M. Koyasu.
Celui-ci s'est levé et a empoigné la bouilloire, qui émettait des nuags de vapeur blanche. Il lui a imprimé un balancement habile avant de tempérer l'ébullition. Cette grosse bouilloire pleine devait être assez lourde mais les mouvements de Monsieur Koyasu n'en laissaient rien paraître. Il a soigneusement dosé les feuilles de thé avec une cuillère, les a placées dans la théière de porcelaine blanche préchauffée et y a versé avec précaution l'eau chaude. Il a posé le couvercle sur la théière, fermé les yeaux et adopté la posture raide d'un garde dixcipliné du palais. C'était la même série d'opérations de toujours. Ou peut-être plutôt le même cérémonial.

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 36.

17.1.25

Murs incertains (04) : lecture

"J'étais assis dans le vieux fauteuil (que M. Koyasu m'avait déniché je ne sais où ) et je relisais l'Education sentimentale de Flaubert à la lumière d'un lampadaire. La typographie ancienne me fatiguait les yeux et je me demandais si je n'allais pas bientôt aller au lit - tout était à peu près comme d'habitude. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 36.

16.1.25

Murs incertains (03) : chat

Léonard-Tsuguharu FOUJITA (1886-1968)

Chat allongé. 1926. Lithographie.


 "Un original aurait été hors de prix et il était difficile d'imaginer qu'une œuvre d'une telle valeur ait été simplement placé sur ce mur. Néanmoins le cadre semblait un peu trop sophistiqué pour une reproduction.

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 30.

15.1.25

Murs incertains (02) : journal intime

 "Si je déclare que ce cahier est mon seul ami, cela fera un peu penser au Journal d'Anne Frank. Bien sûr, je ne vis pas cachée dans la maison de quelqu'un, je ne suis pas entourée de soldats nazis. Ou du moins, les gens de mon entourage n'ont pas de croix gammée sur leurs manches, et pourtant. "

MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, première partie, chapitre 8.

14.1.25

Murs incertains (01) : lambeaux

 "Tout cela, tu me l'as raconté fragment par fragment. Comme si tu sortais des lambeaux de je ne sais quoi de la poche d'un vieux manteau. "
MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, première partie, chapitre 4.