7.9.20

Le souvenir des belles choses (2) : berechit ...

... ou comment commencer ? où commencer ? Les premiers souvenirs qui reviennent ne sont pas les premiers, et ne sont pas d'un temps mais d'un lieu. Bizarrement, c'est là qu'a décidé de finir son voyage mon amie morte cet été, pourtant je suis presque sûre de ne jamais y être allée avec elle. Lorsque je me baignerai, à Eze, j'aime à imaginer que j'y croiserai une petite cendre accrochée à une algue. Ou à un oursin.

Mon histoire avec Eze commence bien avant mon adolescence. Eze , c'était la plage mythique de mon enfance. La plage, c'était le Cros de Cagnes, où j'allais quotidiennement avec mes parents pendant tout le temps des grandes vacances d'été. Eze, c'était "la Plage". 

Je n'ai aucune idée de ce qui déterminait le fait de s'y rendre. Je me souviens cependant que c'est là que mon père y avait tenté sa première expérience de pêcheur en mer, et nous avec, et que j'avais attrapé un gobbi, dont simplement le nom me faisait rêver (pourtant, je m'aperçois aujourd'hui que je n'en savais pas l'orthographe : il faut écrire gobie et il figure même dans Wikipedia; je prends conscience également qu'il doit falloir dire go-bie, avec l'accent sur la deuxième syllabe, alors que je dis gob(bi).) C'est vrai que c'était aussi le nom d'un grand désert qui me fascinait sur le grand atlas vert de mon frère. C'était aussi le nom du singe dans ma méthode de lecture, Macoco, que les indigénistes voueraient aux enfers aujourd'hui, peut-être avec raison, mais qui ont fait mes délices dans l'apprentissage de la lecture. C'était aussi la plage de Lydia, ma marraine, qui a sa page dans Wikipedia comme le gobie. La plage où elle aimait se rendre hors saison, comme le font les Russes; et comme c'était la plage de Lydia, ce ne pouvait être que la plus belle des plages, n'est-ce pas ?
C'est sans doute pour cela que j'ai décidé d'y emmener mon amoureux, pour le premier bain.

Aller à Eze était déjà une aventure. Il fallait, comme Lydia, prendre le train omnibus, et nous le faisions depuis sa gare à lui, Nice-Riquier. Au lycée, nous avions très peu d'argent de poche, et c'était au guichet que nous achetions les petits tickets en carton épais que le poinçonneur trouait à l'aller et ramassait au retour. Nous avons vite compris que le contrôleur ne restait pas longtemps sur le quai, et que si nous trainions un peu, au retour, nous allions pouvoir conserver le ticket en carton et ainsi, puisqu'à la gare d'Eze il n'y avait déjà plus de chef de gare sur le quai, économiser le retour à l'infini en voyageant en règle.

Quand on arrive à la gare d'Eze, toute petite gare typique du réseau, il faut contourner et franchir les rails par un tunnel, en passant sous la voie, et descendre parmi les villas, jusqu'à la ruelle qui mène à la plage. La ruelle est toujours là, les maisons y sont minuscules, peut-être pas si prisées que cela puisque la grande voie qui mène à Rome y fait passer tous les trains très vite dans la grande ligne droite que représentent la route et la plage. 
A Eze, il fallait se baigner chaussé. C'était une plage encore sauvage, avec posidonie et oursins. J'avais peur des oursins et des piquants dans les pieds qui précédaient l'aiguille rougie au feu par ma mère qui les enlevait ensuite en triturant bien. Les galets étaient énormes et inconfortables, et les navires y faisaient souvent déposer de grosses taches de cambouis qui tâchaient irrémédiablement habits et chaussures. Oui, c'était vraiment une plage pour esthètes et non pour hédonistes. Je détestais le cambouis, les piquants d'oursins et j'avais peur des algues et de ce qu'elles dissimulaient :  ma solution était de marcher le moins possible sur les énormes cailloux, de me glisser dans l'eau et de nager le plus vite possible au loin, d'où l'on pouvait admirer la combinaison des falaises, des pins parasols et des villas méditerranéennes. Avec sous soi des kilomètres de fonds transparents. Un ami que j'y amenais plus tard, dans la vingtaine, champion de natation, ne pouvait supporter d'y rester et , à ma surprise, me révéla pourquoi : devant cette immensité abyssale, il avait une peur panique. 
F. gardait aussi son petit cousin parisien de 9 ans pendant les grandes vacances, et nous le trainions à la plage, en pleurs : il voulait rester devant la télé pour regarder ses émissions fétiches. Il a maintenant des enfants qui ont largement passé cet âge, et je me demande s'ils aiment la mer...

Je n'ai pas conservé les premières photos que nous y avions prises, mais je m'en souviens parfaitement : lui, sur la plage, avec des colonnes de galets superposés, en équilibre.  A part ces tas de pierres, je ne me souviens absolument pas de ce que nous y faisions : lectures, discussion, bronzage. Tous ces instants ont du se muer en fines particules, emportées par le vent, accrochés à une algue ou à un oursin. 


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