11.4.12

Autour de Pessah (3)

Un camp.
Un interné.
Une créature sans nom,
Un homme sans visage,
Sans destinée.
C'est la nuit,
La première nuit de Pessah.
Le camp est endormi,
Lui seul est éveillé.
Il parle à lui-même
Sans bruit.
J'entends ses paroles,
Je capte son silence.
A moi, à lui,
Il dit :
Je n'ai pas pris part aux matsot
Ni au maror.
Je n'ai pas vidé les quatre coupes,
Symbole des quatre délivrances.
Je n'ai pas invité
Ceux qui ont faim
A partager mon repas -
Ou même ma faim.
Je n'ai plus de fils
Pour me poser
Les quatre questions -
Je n'ai plus la force de répondre...
La parabole de Had Gadya est trompeuse :
Dieu ne viendra pas
Tuer l'égorgeur.
Les innocentes victimes
Demeureront sans vengeance
Le vieux souhait
Leshana habaa bi-Yeroushalaïm
Ne sera pas exaucé.
Je ne serai pas à Jérusalem
L'année prochaine.
Je ne serai pas.
Aussi
Comment saurai-je
Que Jérusalem est là-bas,
Très loin,
Que Jérusalem n'est pas ici ?
Pourtant, je récite la Haggadah
Comme si j'y croyais.
Et j'attends le prophète Elie
Comme je le faisais jadis.
Je lui ouvre mon cœur
Et dis :
Bienvenue, prophète de la promesse,
Bienvenue, héros de la rédemption.
Viens, partage mon histoire,
Viens te réjouir avec les morts
Que nous sommes.
Vide la coupe
Qui porte ton nom.
Viens à nous,
Viens à nous en cette nuit de Pessah :
Nous sommes en Egypte
Et nous sommes ceux
Qui sont frappés par les plaies
Envoyées par Dieu.
Viens frère des malheureux,
Défenseur des opprimés,
Viens.
Je t'attendrai.
Et même si tu me déçois
Je continuerai d'attendre,
Ani Maamin.

Elie Wiesel, la Haggadah de Pâque, p103? texte issu de Ani Maanim, poème mis en musique par Darius Milhaud

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