12.1.13

Chroniques de l'oiseau à ressort (37) : feu

"Après son départ, je passai l'aspirateur sur le plancher qui en avait bien besoin et remplis la machine à laver du linge sale accumulé. Puis je commençai à ouvrir les tiroirs de mon bureau, et à en vider le contenu dans une boîte en carton. J'avais l'intention de sélectionner là-dedans ce qui était indispensable, et de brûler tout le reste, mais, en réalité, il n'y avait rien d'indispensable ! Ce n'étaient pour la plupart que des choses inutiles : un vieux journal intime, des lettres auxquelles je n'avais pas touché depuis une éternité malgré mon intention d'y répondre, un vieux cahier rempli de notes sur des projets quelconques, un carnet d'adresses où s'alignaient des noms de gens qui avaient traversé ma vie, des coupures de journaux et de magazines toutes jaunies, une carte d'adhérent à la piscine périmée, le mode d'emploi et la garantie du magnétophone, une demi-douzaine de stylos et de crayons usagés, une feuille de mémo avec un numéro de téléphone (je ne savais plus du tout, à présent, de qui il s'agissait). Je décidai de brûler aussi l'ensemble des vieilles lettres conservées dans une boîte rangée dans un placard. Près de la moitié étaient de Kumiko. Nous en avions échangé beaucoup avant notre mariage. Les enveloppes portaient des lignes de caractères tracés de son écriture soignée et minutieuse. Elle n'avait pas changé en sept ans. Jusqu'à la couleur de l'encre qui était la même.
J'emportai la boîte en carton dans le jardin, l'arrosai copieusement d'huile de salade, avant d'y mettre le feu à l'aide d'une allumette. La boîte s'enflamma facilement, mais il fallut plus de temps que je ne l'imaginais pour que tout soit réduit en cendres. C'était un jour sans vent. La fumée blanche s'élevait directement dans le ciel d'été. On aurait dit qu'un arbre immense se dressait jusqu'au-dessus des nuages, comme dans le conte Jack et le Haricot. Si je grimpais au sommet de cet arbre, j'atteindrais peut-être le petit monde où s'était rassemblé tout mon passé qui vivait là-haut agréablement. Je regardai la direction prise par cette fumée, transpirant à grosses gouttes, assis sur une pierre du jardin. La teinte du ciel matinal promettait un après-midi plus chaud encore. Mon tee-shirt me collait à la peau. Dans les vieux romans russes, les lettres sont généralement brûlées dans une cheminée, un soir d'hiver. Et non pas à l'huile de salade dans un jardin, un matin d'été. Mais dans notre monde à nous, d'un méchant réalisme, il arrive que, couvert de sueur, on brûle des lettres un matin d'été. Sur Terre, on ne peut pas se montrer difficile sur le choix de la saison et du reste. Il est parfois impossible d'attendre jusqu'à l'hiver."
MURAKAMI Haruki, Chroniques de l'oiseau à ressort, 2e partie l'oiseau prophète, ch. 15 : Le nom adéquat ; brûlées à l'huile de salade un matin d'été ; une métaphore incorrecte.

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