19.4.06

Erri de Luca, 1

"Celui qui écrit à la possibilté de rassembler les gens autour de lui, de leur donner rendez-vous dans la page, dans l'écriture,dans sa tête. On devient un lieu, un lieu de rencontre pour d'autres. Pour moi ce sont des personnes. Pour le lecteur ce sont des personnages imaginaires qui appartiennent au roman. Mais moi, je suis le lieu où se retrouvent des êtres. Il faut certes des mots. Mais les paroles dépendent moins de l'habileté de l'écrivain que de sa capacité d'écoute.J'écoute les mots des autres qui sont de retour. j'entends leur voix. Et ça m'est facile. pour moi, écrire n'est pas un travail. C'est une façon d'être en compagnie et de rassembler des absents."
Erri de Luca, Trois chevaux

1 commentaire:

  1. Anonyme6:55 AM

    Ayant découvert ce blog à l'invitation de Christian Jacomino, je souhaite tout à la fois réagir ici à la citation de De Luca, et rendre un certain hommage au travail de Christian.

    En effet, concernant De Luca, je me suis souventes fois fait une réflexion tout à fait similaire sur les sources de l'écriture.
    Sauf qu'à moi qui ai si longtemps éprouvé de réèlles difficultés à écouter - la musique savante par exemple, autrefois - aujourd'hui les simples bruits de la vie domestique passé une certaine heure, en fin de journée, lorsque s'est accumulée la fatigue nerveuse, à moi donc qui ne privilégie pas l'ouïe, mais la vue, il m'est toujours clairement apparu que l'écrivain est d'abord un regard. C'est à dire que mon expérience de l'écriture procède et se nourrit en premier lieu de choses vues, de "visions".
    Quel que soit le mode majeur de perception du monde que chacun élabore selon ses dispositions et sa constitution, il semblerait donc que c'est de manière sensible, et non point intellectuelle, que se forme en nous non seulement la matière de l'écriture, mais, à sa racine, la nécessité dans laquelle nous nous retrouvons de produire de l'écrit.
    Quel que soit le sens de prédilection par lequel le monde entre en nous, c'est d'abord ce fait qu'il entre en nous qui nous fait "écrivant" : comme si, nous pénétrant par les sens, il nous investissait avec une intensité propre à devenir énergie créatrice.
    Il y a ensuite, pour ceux qui l'osent, une sorte d'effraction à rebours, de notre intériorité vers le monde, qui nous fait produire de l'écrit pour le lui soumettre.
    En quoi l'on rejoint la notion centrale de la réflexion que mène actuellement Christian Jacomino sur sa pratique d'éducateur, sur son statut de "maître", et qui me semble être celle de la responsabilité : chez le pédagogue, elle consiste à organiser les connaissances accumulée par la tradition, et à les rendre assimilables en les articulant sur la perception sensible que ses élèves ont du monde. Chez l'écrivain, elle est celle d'ajouter du monde au monde, par l'artefact de sa sensibilité.
    Dans les deux cas, il s'agit donc pareillement d'assumer être le lieu (De Luca lui-même y insiste) d'une transition entre monde sensible et discours, que celui-ci s'actualise finalement dans la parole (du pédagogue) ou dans l'écrit (chez l'écrivain). Transition qui engage la responsabilité à double titre : dans la mise en jeu de sa propre sensibilité perceptive ; et dans l'élaboration du discours visant à restituer l'expérience du réèl.
    C. Jacomino a raison : il n'est vraiment possible de le faire qu'en son nom propre, dès lors que ce lieu d'élaboration coïncide avec sa propre intériorité, et que l'on choisit d'en assumer les conséquences.
    Laurence Labois-Eichhorn

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