29.2.20
Talisman
"Et tout au fond du couloir, derrière un rideau de chintz, se cachait une impressionnante collection de livres de la Bibliothèque verte ou rose, à côté d'une centaine d'autres plus anciens. Avec leur couverture de cuir frappé d'or, l'intérieur recouvert de papier cuve, ils ressemblaient à des trésors sauvés d'un naufrage, ils devaient être rares, d'une valeur inestimable. J'aimais y mettre mon nez pour respirer longuement l'odeur du papier jauni, une odeur âcre, poussiéreuse, mais pleine de promesses, rassurante. Ces livres en avaient vu d'autres, ils restaient là, quoi qu'il arrive, vivant, nous attendant patiemment, au milieu de nombreuses toiles d'araignées et de leur cadavres recroquevillés, accrochés au plafond, aux angles de la pièce, à ses moindres recoins. Shakespeare, Hugo, Beaumarchais, Dumas, Balzac, Schiller, Stefan Zweig...
Plus tard, à l'adolescence, j'eus le sentiment qu'ils s'abîmaient dans toute cette poussière, oubliés là, relégués au second, derrière leurs rideaux, alors, de temps en temps, j'en voulais un. Je le cachais dans ma valise et l'emmenais à Paris. Moi, je saurai l'aimer, me disais-je pour me justifier. personne ne les réclamait jamais, personne ne semblait s'apercevoir de leur disparition. Je me félicitais de les avoir sauvés de l'indifférence et du voisinage des innombrables mouches, retournées sur le dos, alignéees en colonies sur le sol ou prises dans les toiles d'araignées.
Leur présence m'a toujours rassurée, et il m'arrivait d'en glisser un sous mon oreiller ou de m'endormir en le tenant serré coltre moi, je devais imaginer que quelque chose d'eux infuserait pendant mon sommeil. "
Les rêveurs, p.54, Isabelle Carré
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