10.3.15

Voyage avec un incolore (48) : glaçon

"Chacun continuerait d'avancer sur son chemin, à la place qui lui a été assignée. Comme Rouge l'avait dit, on ne peut pas revenir en arrière. A cette pensée déferla sur lui, silencieusement, une grande tristesse, comme de l'eau venue d'on ne sait où. Une tristesse vaporeuse, sans forme. Une tristesse qui lui appartenait en propre et qui se situait aussi en un lieu inaccessible et lointain. Une douleur qui lui transperça la poitrine, qui le fit suffoquer.
Il arrêta la voiture sur le bord du chemin, coupa le moteur et, appuyé contre le volant, il ferma les yeux. Il fallait qu'il respire profondément, lentement, en prenant tout son temps, afin de régulariser le rythme de son cœur. Puis il prit conscience soudain de l'existence de quelque chose de dur et de froid, à peu près au milieu de son corps - quelque chose comme un noyau de terre glacée qui n'avait pas fondu après l'hiver. C'était de là que venait la douleur dans sa poitrine et la sensation d'étouffer. Il ignorait jusque là qu'il abritait cette chose en lui.
Mais la douleur dans la poitrine était juste, l'étouffement était juste. Il lui fallait les éprouver pleinement. Ce noyau froid, il devrait ensuite le faire fondre peu à peu. Cela prendrait sans doute du temps mais il devait le faire. Et il aurait besoin de la chaleur de quelqu'un pour que ce noyau de terre glacée fonde. La sienne n'y suffirait pas."
L'incolore Tsukuru Tasaki et ses années de pèlerinage. MURAKAMI Haruki, ch.17

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