13.6.06
souvenirs de petite bouche, 7
illustration de Claire Cour
Nationale 7.
Quand j'étais petite, l'autoroute n'existait que sur de brefs tronçons. Lorsqu'on partait pour un long voyage en voiture, il fallait se lever de bonne heure, tout endormi. Tout au long du chemin, on suivait des camions, on traversait des villages. Il y en avait un, loin de chez nous (au moins cent kilomètres) qui avait un nom très long : il s'appelait Saint Maximin la Sainte Baume. Quand on le traversait, on s'arrêtait sur la place du village, sur le parking, sous les platanes. Le bar était le long de la nationale 7, juste à côté. C'est là que nous prenions le petit déjeuner. Nous nous asseyions à une table recouverte par une toile cirée, sur de vieilles chaises en bois toutes rondes. Le café était très sombre, des coupes brillaient sur une étagère. Mon père commandait un thé, ma mère un café, mon frère un chocolat et moi un café au lait. Comme à la maison. Le patron sortait du café, traversait la rue, rentrait dans la boulangerie, et nous ramenait deux croissants tous chauds pour chacun, qu'il posait dans une petite corbeille en osier. Ils étaient très très bons, tout chauds, fondants sous la langue. J'attaquais le premier croissant par le milieu, là où il est le plus tendre, dans la carapace du crabe, et je le laissais fondre sous la langue. Je fourrai le deuxième avec du beurre tout ramolli dans une minuscule plaquette dorée. Il y avait aussi de la confiture, ce n'était pas un bocal qui tirait la langue mais une petite barquette en aluminium, et il n'y en avait qu'un tout petit peu.
Il y a toujours eu des croissants dans les boulangeries mais avant, c'était un produit de luxe. On n'en mangeait que dans les grandes occasions, pour un anniversaire, ou en vacances quand on prenait son petit déjeuner dans un café. Ils n'étaient chauds que le matin, car le boulanger se levait très tôt pour les fabriquer, et après il allait se coucher. Le croissant, c'était un aliment du matin, comme la soupe en est un du soir. Je n'en mangeais jamais à un autre moment de la journée, ça ne me serait même pas venu à l'idée !
Un jour, il y a eu de plus en plus d'autoroutes. On n'avait plus besoin de se lever très tôt, tout endormi. Sur la nôtre, un peu avant l'échangeur, il y avait un grand panneau : visitez Saint Maximin la Sainte Baume et son abbaye romane. Moi, je ne connaissais pas l'abbaye romane, mais je regrettais bien de ne pas en prendre la sortie vers la place et les platanes.
Une seule fois, j'ai dérogé à la règle matinale des croissants: dans un restaurant d'un petit village de l'Aveyron, j'en ai mangé fourré comme un croque-monsieur, passé au four avec du jambon et du gruyère; c'était étrange et délicieux. Mais c'était quand même beaucoup moins bon qu'au petit déjeuner dans un café tout sombre avec des coupes brillantes.
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Nous avons à présent beaucoup plus d'autoroutes mais nous n'avons pas plus de croissants, je veux dire de vrais frais comme ceux dont tu parles.
RépondreSupprimerUn matin, j'ai fait une longue marche sur le bord de la mer et, en revenant, je me suis arrêté à la terrasse d'un café très chic de la place du palais. J'étais fatigué et fier de ma marche, je méritais une récompense. J'ai commandé un café crème et deux croissants. Ils étaient froids, ils sortaient du congélateur. C'était à pleurer. Et comme je me plaignais, le serveur m'a répondu que non, ces croissants ne sortaient pas du congélateur de l'établissement, ils venaient d'être livrés par le boulanger du coin (je te montrerai lequel, il fait aussi des pizzas pour les touristes, il faudrait porter plainte). Ces croissants sortaient donc du congélateur de ce qu'on appelait naguère encore un 'boulanger'.
A part ça, n'as-tu pas une photo de la voiture? Une DS19, it is not?