30.8.09

Mes notes de chevet, 14. Choses désolantes


« On a envoyé chez quelqu’un une lettre que l’on avait particulièrement soignée, on voudrait déjà lire la réponse. Celle-ci tarde. On attend, on pense que le messager aurait dû revenir bien vite, et que ce retard est étrange ; mais cette lettre que l’on avait si soigneusement nouée ou tordue revient salie et froissée, le trait d’encre qui en assure le secret tout effacé. Le messager la rapporte en disant : "La personne n’était pas là", ou bien : "On a répondu que c’était jour de retraite, et l’on n’a pas voulu prendre ce billet". C’est tout à fait triste et désolant !
... À plus forte raison que doit penser, s’il attend en vain, l’homme qui avait demandé à son amie de venir ? »
Sei Shônagon, Notes de chevet


Mes notes de chevet :

Choses désolantes :
  • se fâcher avec un vieil ami
  • manger seul le jour de Noël ou de son anniversaire
  • perdre un livre épuisé avant d’avoir lu la fin
  • quand vos invités épuisent le stock de chocolats noirs dans la boîte et ne laissent que les chocolats au lait...
Et pour vous ?

Marché


Je recevais mon amie Valérie et sa famille hier soir. D'où ce marché spécial Provence

29.8.09

Le syndrome de la femme de Loth

" Comme l'aube paraissait, les envoyés pressèrent Loth, en disant : "(...) Songe à sauver ta vie ; ne regarde pas en arrière, et ne t'arrête pas dans toute cette région; fuis vers la montagne, de crainte de périr.La femme de Loth, ayant regardé en arrière, devint une statue de sel." Genèse, 19;26
Parfois, on trouve une image nouvelle, au détour, par exemple de Facebook, redoutable compilateur d'humains. Alors, les images du passé, les souvenirs, resurgissent. Et on se dit, "et si ?" et l'on tente. Plusieurs fois j'ai lancé ma ligne, et j'ai pêché des sourires, un fil qui se renoue, tendu de nouveaux petits bonheurs. Alors, je me suis enhardie, empruntant des chemins plus osés, plus risqués, me prenant pour Abraham ayant foi dans les hommes de Sodome. Et je me retrouve en statue, figée dans un rôle qui n'est plus le mien. Car quel est destin le plus terrible pour la femme de Loth, celui de statue ou celui d'épouse sans prénom pour l'éternité.


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24.8.09

Bois flottés



"J'adore écouter The Lovin'Spoonful. Leur musique est décontractée, jamais prétentieuse. Les écouter me remémore toutes sortes de souvenirs des années soixante. Aucun particulièrement extraordinaire. Si l'on s'avisait de tourner un film sur ma vie (cette seule pensée me terrifie), ce serait justement ces épisodes-là qui seraient coupés au montage. "on pourrait laisser tomber cette scène, dirait le metteur en scène. Elle n'est pas mauvaise mais trop ordinaire, elle n'a pas beaucoup de valeur."Voilà, ce genre de souvenirs -sans prétention, communs. Mais pour moi, ils sont pleins de signification, ils ont du prix. Chaque fois que l'une de ces images du passé me traverse l'esprit, je suis sûr qu'inconsciemment je souris, ou que j'ai un petit froncement de sourcils. Si banals soient-ils, ces souvenirs accumulés ont produit un résultat : moi. Moi ici et maintenant, sur la plage nord de Kauai. Quelquefois, quand j pense à la vie, je la vois comme un de ces fragments de bois flottés qui échouent sur le rivage."

Haruki MurakamiAutoportrait de l'auteur en coureur de fond, p13


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22.8.09

Pour lutter contre la nostalgie nippone, 15: Au resto ou à la maison ?

Au nouveau restaurant, japonais, de Keisuke Matsushima, saisons, rue Gubernatis à Nice




Chez moi, par Hatsuo :

Silhouette

J'observe sa silhouette, son allure, sa démarche. Ses gestes ont une élégance naturelle. Je ne sais pas trop comment exprimer ça, mais il y a quelque chose de spécial en elle. C'est comme si sa silhouette de dos essayait de me dire quelque chose. Quelquechose qu'elle ne peut pas me dire de face. Seulement, j'ignore ce que c'est. Il y a tant de choses que j'ignore...
Kafka sur le rivage, Haruki Murakami p57


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Ambre solaire


Une petite famille proprette, efficace, bien tenue. Sans doute les enfants sont-ils respectueux du maître à l'école, la maison bien rangée, la pelouse tondue. Pour se protéger la peau, le Ministère de la Santé préconise que l'on s'enduise le corps de crème solaire toutes les deux heures. Sans doute à la maison, les parents prennent bien soin de ne pas déambuler dans la maison en tenue d'Eve.
Onze heures du matin , canicule sans doute déjà 35 à l'ombre. Aucune ombre à des kilomètres, exceptée dans ce petit square aux quatre noms de Maréchaux de France, de magnifiques palmiers, entre deux chaussées, devant le port et l'embarcadère des îles. Jusqu'à la plage, il faudra marcher sur le trottoir quelques centaines de mètres en pleine lumière, le panier empli des polos et de shorts bien pliés, puis trouver quelques mètres carrés disponibles pour les nattes sur la plage. profiter jusqu'au dernier instant des rayons lumineux. L'avion c'est demain.
En face, sur le balcon de l'hôtel de luxe, quelques clients en peignoir blanc prennent le brunch pendant que la soubrette passe l'aspirateur des premiers départs. Une blonde à lunette Gucci balance sa cigarette par dessus le balcon sans l'avoir éteinte. Le reste du monde n'existe pas. C'est ainsi que la forêt des Maures s'embrase au départ de l'autoroute...


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18.8.09

Tempête, histoire vécue.

"Parfois le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi ? Parce que cette tempête n'est pas un phénomène venu d'ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle est toi-même, et rien d'autre. Elle vient de l'intérieur de toi. Alors, la seule chose que tu puisses faire, c'est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d'empêcher le sable d'y entrer, et la traverser pas à pas. Au cœur de cette tempête, il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, pas de repères dans l'espace; par moments, même le temps n'existe plus. Il n'y a que du sable blanc et fin comme des os broyés qui tourbillonne haut dans le ciel. Voilà la tempête de sable que tu dois imaginer.
C'est un fait, tu vas réellement devoir traverser cette violente tempête. Cette tempête métaphysique et symbolique. Mais si symbolique, si métaphysique qu'elle soit, ne te méprends pas : elle tranchera dans ta chair comme mille lames de rasoir affutées. Des gens saigneront, et toi aussi tu saigneras. Un sang chaud et rouge coulera. Tu recueilleras ce sang dans tes mains : ce sera ton sang, et le sang des autres.
Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu'elle soit vraiment achevée. Mais sois sûr d'une chose : une fois que tu as essuyée cette tempête, tu ne seras plus le même. Tel est le sens de cette tempête.
Kafka sur le rivage, Haruki Murakami, p10-11
pour Léa, lune et soleil.

14.8.09

Terreurs enfantines

Notes de chevet, 13, billet rapatrié sur mon blog, article gardé pour les commentaires


Où il est dit qu'à une période de ma vie, j'avais très peur de Belphégor...

Mes notes de chevet, 13. Edifices

« Sur l’écran dressé devant la baie ouverte au nord de la salle qui occupe l’angle du nord-est, au Palias pur et frais, on voyait représenté l’Océan déchaîné, avec les êtres horribles qui l’habitent : des monstres aux longs bras, aux jambes démesurées. Quand la porte de la chambre où se tenait l’Impératrice était ouverte, nous voyions constamment ces affreuse peintures, et nous avions accoutumé d’en rire avec répugnance. »
Sei Shônagon, Notes de chevet

Sarayashiki, Hokusai

Mes notes de chevets :
Quand j’étais enfant, je ne supportais plus les doubles-rideaux de la chambre : derrière eux pouvait se dissimuler Belphégor, que j’avais vu à la télévision, puis dans un cauchemar, là, là, exactement là se détachant des doubles-rideaux.

9.8.09

L'écrivain est un voleur

"C'est à ce moment que j'ai eu l'idée d'offrir une page de mon carnet à Jean-Christophe, comme pour le remercier de ses confidences. Je savais bien sûr que je ferais état de ses propos dans mon texte. Devais-je lui en demander l'autorisation ? Cela m'est arrivé plus d'une fois de dérober des histoires racontées par des amis, des inconnus. Je l'ai fait la plupart du temps à leur insu. J'avais l'impression de trahir leur confiance. Je me trouvais une certaine parenté avec ces vilains personnages qui profitent de la distraction des bibliothécaires pour arracher les pages des livres. Le métier d'écrivain oblige à commettre plus d'une indiscrétion, à trahir plus d'un secret, à voler quelques histoires. Il faut tant de choses pour composer un livre qu'on est bien obligé d'emprunter aux autres."
Avant, Vassilis Alexakis, p137

2.8.09

Se fausser compagnie

"C'était il y a longtemps. Tout le monde a pris ça pour un caprice. Un ami m'a même dit "c'est la transgression absolue. Tu te rends compte ? Refuser le prénom que tes parents t'ont donné pour en choisir un autre !"(...) j'ai d'abord accolé mes deux prénoms. Mais ce n'étaient pas des prénoms simples et composables. Ca ne donnait rien d'habituel comme Marie-Claire ou Anne Sophie. Plutôt quelque chose d'assez grotesque comme Cunégonde-Gertrude ou... Mais j'ai tenu. Au fil du temps, le premier prénom a disparu, et le second, celui que j'avais voulu, s'est imposé. J'avais réussi à me fausser compagnie."
Florence Noiville, in la donation, ch 17

Une qui aimait les listes et l'autre qui n'aimait pas

Notes de chevet, 6,8,9,10,11,12
Des listes qui font naître la mélancolie



Une qui ne doit pas aimer Sei Shonagon : Florence Noiville :
"Dans son désir de perfection, ma mère dressait, de sa petite écriture pointue, des listes interminables qui se substituaient immuablement les unes aux autres :
-poncer barrière
-repeindre contrevents
(...) La liste "jardin" n'en finissait jamais, mais la liste "maison" était aussi longue. Sans parler des autres, professionnelle, sociale, ou celle des préparatifs de vacances qui représentaient toujours (les préparatifs) un cauchemar absolu. Les listes : les listes de choses faites, rayées avec une satisfaction rageuse, les listes de choses à faire, à penser, à préparer, les aide-mémoire, les petits papiers, les Post-it... toutes ces listes interminables comme les litanies des noms sur les monuments aux morts, à quoi servent-elles ? Les écrit-on comme on faisait des lignes à l'école, pour noircir des pages en guise de punition ? Enumère-t-on les sujets d'angoisse pour mieux les neutraliser ? Les multiplie-t-on au contraire pour cause d'horreur du vide ? Dans le cas de ma mère, la dernière hypothèse s'imposait : seule sur une île déserte, elle aurait encore produit des kilomètres de listes."
in La donation , chapitre 13

Mes notes de chevet,6. Pics, 8. Marchés, 9. Gouffres, 10. Mers, 11. Bacs, 12. Tombes impériales


 

« Les bacs de Shikasuga, de Mitsuwashi, de Korizuma »
Sei Shonagon, Notes de Chevets

Mes notes de chevet :
Les listes de Sei Shonagon n’ont parfois aucun sens pour nous. Elles ont traversé les siècles, emplies de noms de lieux disparus, de jeux de mots vides de sens, ce qui m’emplit de nostalgie, chroniques d’un monde perdu.