15.11.07
La vie est pleine de surprises
Dans le dossier de la partie adverse, c’est juste une lettre manuscrite, numérotée 3, entre une déclaration d’impôts et un relevé de banque. Ou plutôt la photocopie d’une lettre.
La vie est pleine de surprises. J’ai reconnu tout de suite la graphie émouvante, toute personnelle, sans avoir besoin de regarder l’en-tête. La même qui écrivait des vœux de bonheur ( ?, mais oui…) pour l’année 2006.
J’aurais préféré une bonne enguelade, une bonne dose de mots haineux exprimant son mépris pour moi, sa haine, son dégoût.
Ce ne sera que quelques lignes dans un dossier qui ne me sont pas adressées et qui pourtant me jugent, ou plutôt me décrivent. Tel qu’il me voit.
Il commence par « je suis un intime de la famille L. »
Etrange. Il n’y a plus de famille L. Nous étions trois à porter ce nom, et de famille il n’y a plus. Et ce présent aussi. « Je suis ». Est-il mon intime, lui dont j’avais déjà fait le deuil de l’amitié, depuis des mois déjà ?
Intime. Étrange terme. Mais exact. Partager des choses intimes. J’ai vécu avec lui l’intime. J’ai vécu beaucoup de moments, des partages, des joies, de grands bonheurs, des petits. Certains totalement oubliés. Certains inscrits dans la mémoire et douloureux aujourd’hui. Certains totalement heureux : un coucher de soleil, la rencontre d’une chauve-souris, une pastèque partagée, le don d’un livre de cuisine, celui d’un livre de nuages, des sources chaudes, des bains de boue, des ballades en âne… je ne les compte plus. Je m’en souviens. Pas de bruits, pas de cris, que des sourires, de la tendresse. Vous avez dit tendresse ?
Vivre l’intime de quelqu’un d’autre, et de tout cet intime ne retenir que ce qu’il en écrit, que ces parcelles de temps hors de leur contexte véritable, que des signes extérieurs, où le contexte véritable, celui de l’intime intime, n’appartient qu’à celui qui le vit là devant témoin… Vivre certains moments desquels je ne suis pas fière. Ne pas penser : « Danger, tout ce qui sera dit pourra être utilisé contre vous ». Vivre certains moments dont il ne peut pas être fier, lui non plus. Moments qu’il n’a pu oublier. D’autres moments aussi, où il ne se rendait même pas compte de l’image qu’il donnait de lui, en tant qu’homme,. En tant qu’époux. Et même en tant que père. Des moments où le spectateur se dit. « Qui est cet homme-là ? » Ne sommes-nous pas tous ainsi ? S’est-il dit alors : « Danger, tout ce qui sera dit pourra être utilisé contre vous » ?
Et puis des termes étranges dans sa bouche. Des termes familiers pour un autre, mais par pour lui, pas seulement parce qu’il n’est pas assez savant pour cela. Il glisse même vers le poétique « Il est des mots et des silences qu’un ami homme peut comprendre sans faire de longs discours ». Mes silences, mes mots, mes maux, j’en ai partagé quelques-uns, parfois, avec lui. Je les croyais en lieu sûr, évidemment ; j’en croyais aussi sûres les réponses, les commentaires, les avis. Evidemment. Comment faire autrement ?
Le plus surprenant en tout cela: tout ce qui fut écrit dans la tendresse de l’amour, dans le bonheur du jour, ne serait qu’idéalisation de la vie de couple et appel au secours. Ce n’est pas surprenant, mais c’est tout simplement à gerber. Du révisionisme pur et simple.
« Quand je quittais ma table, le ciel était plus bleu, les murs étaient lavés, Léa était plus douce, Dvorah plus rayonnante. Nulle altération des sens, je voyais le monde comme il est, comme on ne le voit plus. » Mensonge littéraire ? Je sais bien que non…
Il dit qu’il est désolé. Pouquoi l’est-il ? Il ne le dit pas. Pourquoi le fait-il ? Il ne le dit pas non plus. Le juge lira la lettre, une lettre de plus, dans un dossier de plus, qui dira que l’amour est mort, qui décrit la dégénérescence annoncée d’un couple de plus. C’est en principe une évidence lorsque les gens divorcent. Cela expliquera peut-être le fond, mais non la forme… Une énigme, cependant, demeure. À quoi cela peut-il bien lui servir, à lui ? Mais à lui, à quoi cela lui servira-t-il ? Sans doute pas à le rendre fier de lui.
C’est étrange, bien que j’en aie beaucoup pleuré, je n’arrive pas à le détester. Peut-être est-ce simplement parce que j’avais déjà fait mon deuil de lui, comme de tant d’autres choses depuis deux ans. Il ne reste dans mon souvenir que les belles heures, un coucher de soleil, la rencontre d’une chauve-souris, une pastèque partagée, le don d’un livre de cuisine, celui d’un livre de nuages, des sources chaudes, des bains de boue, des ballades en âne…Rien qui puisse intéresser un juge, j’en ai bien peur…
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