Nissan 5785, j'ai passé la Mer Rouge. Cette année, l'évocation du fait que, chaque année, nous ne faisons pas que lire le récit du départ de l'Egypte, mais que nous accomplissons nous-mêmes réellement ce rite, est devenu pour moi une réalité incontournable. Partir, parce qu'on ne peut rester. Partir, pour rester soi-même, pour sauver sa "peau" c'est-à-dire son âme. Partir en laissant derrière soi les "proches" qui refusent de suivre, ceux qui ne se sentent pas concernés mais pourtant "risquent la mort". Prendre la route avec une espèce de famille recomposée, mais la seule famille vraie, celle du cœur. Aller droit devant soi, déterminée sans doute, mais avec encore un peu en soi le syndrome de la femme de Loth, se retourner intérieurement sur ce qui fut. Non pas comme un regret, mais comme ces bagages qu'on laisse sur sa route car il faut s'alléger pour continuer le voyage au désert.
26.4.25
9.4.25
Murs incertains (41) : bibliothèque immatérielle
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Sur de hautes et longues étagères, des écrits de toutes époques et de tous pays étaient alignés à perte de vue. Mes yeux blessés n'étaient pas encore complètement rétablis, mais j'étais en mesure de lire tous ces livres sans aucune gêne. Parce qu'il s'agissait là d'ouvrages stockés à l'intérieur de la conscience, et que je ne lisais pas avec mes yeux, mais avec mon cœur. De l'Almanach agricole à Homère, de Tanizaki à Ian Fleming. Dans cette cité où il n'y avait pas un seul livre, c'était un plaisir sans fin que d'avoir accès librement et sans restrictions à ces livres dépourvus de formes matérielles et donc invisibles.
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MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, troisième partie, chapitre 69
8.4.25
Murs incertains (40) : un faux authentique
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"Avez-vous déjà lu le Papalagui ?"
C'est la question que m'a posée le jeune Yellow Submarine, alors que nous étions assis dans cette petie pièce au sous-sol de ma conscience, une bougie entre nous.
Oui, je l'avais lu quand j'étais jeune, mais je ne m'en souvenais pas dans les détails. Je me rappelais cependant qu'il s'agissait d'un chef d'une des îles Samoa qui racontait à son peuple ses expériences tirées de ses voyages à travers l'Europe au début du XXe siècle.
"Oui, exactement. Mais on sait aujourd'hui que cette histoire est une fiction. C'est un écrivain allemand qui a interprété les récits d'un chef des mers du Sud pour en faire un livre. Lequel est donc un faux. A l'époque pourtant, il a été considéré comme un rapport authentique et ses lecteurs ont été très nombreux. Ce n'est pas étonnant. Car il s'agit bien d'une critique intelligente et humoristique de la civilisation moderne.
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MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, troisième partie, chapitre 68
7.4.25
Murs incertains (39) : quelque chose et rien
"De l'autre côté du monde, avant de venir dans la Cité fortifiée, j'avais vu le dessin animé Yellow Submarine. Je me souvenais aussi de la musique. Mais j'avais complètement oublié le film en lui même. Nous vivons tous dans un sous-marin jaune... Cela signifiait à la fois quelque chose et rien. "
MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, troisième partie, chapitre 63
6.4.25
Murs incertains (38) : ce mur pouvait exister
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Fermina Daza ne comprenait pas pourquoi on ne la recueillait pas alors qu'elle semblait en détresse, mais le capitaine lui expliqua qu'elle était le fantôme d'une noyée qui envoyait des signaux trompeurs afin d'attirer les bateaux vers les dangereux tourbillons de l'autre rive. (Gabriel Garcia Marquez, l'Amour au temps du choléra)
L'écrivain colombien Garcia Marquez n'estimait pas nécessaire la distinction entre les vivants et les morts. Qu'est-ce qui était réel et qu'est-ce qui était irréel ? Ou plutôt, y avait-il vraiment dans ce monde quelque chose qui séparait le réel de l'irréel ?
Je pense que ce mur pouvait exister. Non, il existe, sans aucun doute. Mais il s'agit d'un mur de totale incertitude. Selon la situation et selon l'adversaire, sa rigidité change constamment. Sa forme change. A l'instar d'un être vivant.
MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61
5.4.25
Murs incertains (37) : recluse
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"Je peux faire de petits achats en ligne et me faire livrer et me faire livrer ce dont j'ai besoin pour le café. Ici, dans la rue commerçante, je trouve de quoi pourvoir à mes besoins du quotidien, ce qui m'évite de sortir souvent. Cette vie de recluse me rappelle le film tiré du Journal d'Anne Franck, celle qui vivait dans sa cachette à Amsterdam. Plafond bas et petite fenêtre...
- Mais personne ne vous pourchasse et vous n'êtes pas obligée de vous cacher. Vous vivez une vie que vous avez choisie.
-Oui, mais pour qui loge dans un si petit espace et dont les seuls allers-retours se font entre le rez-de-chaussée et le premier étage surgit inévitablement l'illusion d'être poursuivi obstinément par quelqu'un ou quelque chose, et de vivre en se cachant d'un danger imminent. "
MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61
3.4.25
Murs incertains (36) : pizza
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- Et après, nous allons chez moi manger quelque chose ? Je peux cuisiner un petit dîner rapide et simple . "
Elle a un peu penché la tête, plissé les paupières et réfléchi.
" Si cela ne vous ennuie pas, pourrions-nous commander une pizza ici et prendre une bière avec ? C'est plutôt de ça que j'ai envie aujourd'hui.
- Bien sûr. Une pizza, ce n'est pas plus mal.
- Une margherita, ça vous va ?
- Ca m'est égal. Décidez vous-même. "
Elle a appuyé sur un numéro enregistré dans son portable et a commandé des pizzas, comme elle en avait l'habitude? Garnies de trois sortes de champignons. "
MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61
2.4.25
Murs incertains (35) : et si c'était vrai aussi pour Murakami ?
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"Dans ses histoires, le réel et l'irréel, les vivants et les morts ne font qu'un, tout se mêle, a-t-elle commenté. Comme s'il s'agissait d'événements quotidiens qui vont de soi.
- C'est ce que souvent on appelle le réalisme magique, ai-je remarqué.
- Oui, c'est vrai. Toutefois, si ces histoires relèvent du réalisme magique selon les normes critiques, pour Garcia Marquez lui-même, ne représentaient-elle pas du réalisme ordinaire ? Car dans le monde dans lequel il vivait, le réel et l'irréel se mélangeaient tout naturellement, et il décrivait les choses telles qu'il les voyait."
Je me suis assis sur le tabouret à côté d'elle. "Vous voulez dire que dans son monde, le réel et l'irréel se juxtaposent, coexistent à valeur égale, et que Garcia marquez n'est que leur chroniqueur ?
- Oui, je pense. Et j'adore cette posture dans ses romans. "
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MURAKAMI Haruki, La cité aux murs incertains, ed. Belfond, deuxième partie, chapitre 61


