13.12.24

Nous mourons tous par petits bouts : Service public

 Quand j'étais petite, on m'a transmis le plus grand respect pour le facteur. Ma mère me racontait que passer le concours était très difficile, notamment il fallait savoir par cœur tous les numéros des départements français, ceux que j'avais retenus moi-même en faisant, défaisant, refaisant, le grand puzzle de la carte de France que le père Noël m'avait apporté.

J'ai repensé à tout cela en ouvrant ma boîte aux lettres . J'ai trouvé un avis de passage. Pour une fois, c'était vrai, je n'étais vraiment pas là quand le facteur est passé et qu'il a rempli l'avis. Il a écrit ceci :


Quand s'est-il présenté ? Hier et l'avis a été déposé par le facteur des lettres ? aujourd'hui et c'est lui qui a glissé l'avis ?
Car la date de cet aujourd'hui dépend étroitement de celle du "demain" de l'avis. Demain est-il demain ? Demain est-il l'aujourd'hui du facteur des lettres et alors il est déjà trop tard ? Je suis perdue dans le temps ...



Je suis perdue dans l'espace aussi. J'avoue un peu de mesquinerie de ma part. Certains diront que je fais du racisme social. Mais bon, ce facteur est bien rattaché à cette poste qu'il ne sait pas écrire. Malausséna. L'adresse de son job. Celle qu'il va écrire des dizaines de fois aujourd'hui ? Ou bien qu'il a écrit hier ? Une des avenues les plus populaires de Nice, celle du marché, du tramway. 
Cet avis écrit à la première personne pour me rendre le service public plus proche me le rend en fait plus lointain , faille spatio-temporelle que rien ne pourra combler. Je me demande ce qu'en aurait pensé ma maman, qui n'a jamais eu son certificat d'études, ce qui pour elle était une grande blessure : meilleure élève de sa classe, mais fille, elle avait du aller travailler fissa, même après que son instit soit passé à la maison pour tenter de convaincre le père de la laisser à l'école encore une petite année ...