3.11.25

battements de cœur (2): naufrage encore

 "je crois qu'en devenant parent on s'embarque pour une sorte de naufrage annoncé. Si ce n'est pas à cause de la houle, ce sera à cause d'autre chose, du vent, d'une mauvaise rencontre. Ca me parait si compliqué que malgré tous nos efforts, toute l'attention qu'on y met, on finit tôt ou tard par tomber à l'eau. "
L'île des battements de cœur, Laura Imai Messina, p194, ed. 10-18

2.11.25

battements de cœur (1) : naufrages

 "La vie est une succession de naufrages.
L'île où nous accostons, l'état de notre bateau ou de notre radeau de fortune, nos bras, le seul objet conservé de notre vie passée : tout prend de l'importance. Parce qu'à notre arrivée sur la plage, quelle que soit l'existence qui l'a précédée, tour se transforme en souvenir.
Quelle que soit la somme de nos douleurs, il arrive que la vie recommence à zéro. "
L'île des battements de cœur, Laura Imai Messina, p37, ed. 10-18

8.10.25

Nous mourons tous par petits bouts : le frère que je n'ai jamais eu (1)

 Il pleut sur Nantes
Donne moi la main
Le ciel de Nantes
Rend mon cœur chagrin


Voici comment avant-hier j'ai appris par un texto de ma belle-sœur que mon frère de Nantes a été malade, puis mourant, puis mort, puis enterré.
A tous les habitués de mon blog qui pourraient penser qu'il s'agit d'une nouvelle fiction ici des méandres de mon imagination, je leur affirme qu'il n'en est rien. C'est la  vérité vraie, la vérité toute nue.
A tous ceux qui pourraient penser que j'ai du bien mal agir pour mériter ce traitement, j'avoue sincèrement mon entière ignorance. 
Je n'avais pas de nouvelle de mon frère depuis plusieurs années, mais nous n'étions pas fâchés. Nous n'avions tout simplement plus rien à nous dire. Mais nous n'étions pas même vraiment en froid, puisque la dernière chose que je lui ai envoyée est un etegami de l'année du tigre.

Peut-être est-ce pour cela, lui qui a toujours eu le sens de l'humour, que l'idée lui est venue de filer à l'anglaise ...
J'ai pensé tout d'abord à un spam, une mauvaise blague vu le contenu. Quelqu'un qui ne me/le connaissais/t pas bien. En effet, je n'ai jamais eu de frère Jacques. Le seul frère Jacques que j'ai connu était celui de la comptine. Mon frère, aux yeux de toute la famille, était Jacky. 
Peut-être est-ce pour cela que le seul sentiment que j'arrive à ressentir est la colère. Jacques est peut-être mort, qu'en est-il de Jacky ?

(à suivre)




3.10.25

passer une BONNE NUIT à TOKYO (3) : highball

 "Le highball était frais comme tout. Servir une préparation bien glacée était ce qui comptait le plus pour Maeda, quand il posait la boisson sur le comptoir, le gaz carbonique et la paroi glacée du petit verre s'associaient pour dégagerune fine brume.
"Voici ! "
D'une voix à peine audible, Maeda signala à Eiko qu'elle était servie. Elle tendit sa main droite qu'elle tenait repliée contre elle pour saisir le verre, à l'instant où ses doigts l'effleurèrent, elle eut un geste de recul, surprise par ce contact glacial.
D'un ambre presque noir, la boisson était surmontée d'un quartier de citron découpé en forme de croissant.
Charmée par ce parfum frais, Eiko rapprocha le verre pour le porter à sa bouche. Elle posa les lèvres sur le rebord glacé et but une première gorgée.
Ce n'était pas de l'alcool qu'elle buvait, non, elle avait l'impression d'avoir en bouche le temps même de ce bar paisible et désert dans la nuit.
"Comme c'est bon" dit-elle malgré elle, tout au bonheur de sentir la nuit de Tôkyô se propager en elle.   "

Bonne nuit Tokyo, YOSHIDA Atsuhiro, ed. Picquier Poche, chapitre La dernière pièce

2.10.25

passer une BONNE NUIT à TOKYO (2) : c'est beau, c'est bon !

  " "Que c'est bon !

 Elle songea naïvement que c'était super qu'il existe un mot aussi commode que bon. C'était grâce à lui qu'elle pouvait exprimer cette sensation ineffable.
Les professionnels des décors au cinéma n'arrêtaient pas de le répéter : "Surtout ne pas employer le mot beau à la légère."
Beau avait fini par devenir un signe qui ne véhiculait plus guère de sens. Idées, impressions, perceptions, étaient englouties par ce vocable fourre-tout, le plus important passait à la trappe.
Ainsi, quand on travaillait pour la section décors et accessoires, on se gardait d'employer beau à tout bout de champ. Ses aînés n'avaient cessé de le lui répeter.
Mais, d'après l'expérience de Mitsuki, certaines choses ne pouvaient se transmettre à grands renforts de mots, autrement dit, elle était persuadée que la plus habile des expressions pouvait avoir pour effet paradoxal de banaliser ce dont on parlait.
Dans ce cas-là, elle dérogeait à la règle d'or de ses aînés, et en y mettant tout son cœur, elle déclarait : "C'est une belle fleur", Il a un beau profil".
Dans le même ordre d'idée, elle se permettait de dire : "C'est bon.""

Bonne nuit Tokyo, YOSHIDA Atsuhiro, ed. Picquier Poche, chapitre Pluie de plumes la nuit

1.10.25

passer une BONNE NUIT à TOKYO (1) : whisky coca, recette

 " La préparation était la simplicité même.
("...)Remplir à ras bord le verre refroidi de glace grossièrement broyée, mélanger sans attendre avec un pilon. Vérifier que le verre est froid à s'en couper les lèvres, jeter la glace, verser la quantité d'un whisky si gelé qu'il s'écoulera à peine de la bouteille. Ajouter le double de coca, remuer rapidement...
Et c'est prêt ! " "

Bonne nuit Tokyo, YOSHIDA Atsuhiro, ed. Picquier Poche, chapitre Pluie de plumes la nuit

26.5.25

Fête des mères



Hier c'était la fête des mères. Tout s'est bien passé. Rien à signaler. Une belle journée de balade dans la Haute Provence en fleurs. Café gourmand dans une petite auberge perdue.
Mais de ma fille aucun message, kloum, nada.
Cela devient une habitude, et, maintenant, j'ose l'avouer, à la fois une déception et un soulagement. Rien que je redoute plus qu'un message laconique comme j'ai reçu déjà, où même l'IA aurait fait mieux. 
C'était quand même ma fête. De droit. Du discours même de l'intéressée qui a 17 ans a quitté le domicile matriarcal : devant l'aveu de mon échec, elle déclarait tout de go qu'il n'y avait pas d'échec, je n'avais fait d'elle ni une ratée ni une droguée, nous étions juste incompatibles. 
Dont acte. Venant d'elle, c'est peut-être son seul mensonge en lequel je veux encore croire.
Longtemps je n'ai pas voulu d'enfant, et quand j'ai changé d'avis je n'étais pas sûre de moi. J'avais peut-être raison, puisque la vie de parents a brisé mon couple vieux de trente ans sorti du nombrilisme. Pourtant, il y a eu beaucoup de moments de grand bonheur, de souvenirs illuminés par son sourire et sa joie de vivre. Même si nos relations n'ont jamais été vraiment simples. On va dire que c'était le choc des caractères entre capricorne et sagittaire ... Lorsque ma fille a eu dix ans, nous nous sommes retrouvées abandonnées du jour au lendemain, commença une période terriblement noire pour moi, accentuée par la situation de parent isolé avec tous ses inconvénients : revenus, décisions à prendre, réactions à avoir devant tous les problèmes de l'adolescence accrus par tout ce qui est caricature du père à la fois démissionnaire et revendicateur. De la vie quotidienne je n'ai gardé que peu de souvenirs, j'ai du beaucoup scotomiser. Mais mon amour maternel, chevillé à un solide devoir éthique, ne m'a jamais fait lâcher.

A partir de ses dix-sept ans, après son départ, j'ai vécu de longs mois sans aucune nouvelle. C'était affreux, mais d'un autre côté il en a peut-être mieux valu ainsi, car si j'avais su ce qui se passait dans sa vie, j'aurais été encore plus tourmentée. Et puis elle a volontairement refait surface, à dix-neuf ans, et nous avons repris des relations en dents de scie, alternant entre chaud et froid, mais distantes puisqu'elle avait rejoint la Belgique puis le Nord. Et puis soudainement, il y a trois ans, tout a changé, il s'est installé une complicité que je n'avais jamais connue, une intimité délicieuse faite de petits échanges quotidiens, de petits bonheurs comme je les aime. Presque un an de pur bonheur. Je n'ai jamais su pourquoi cela avait changé mais je n'ai pas demandé, je ne cherchais pas à savoir, c'était tellement bien que je ne voyais pas pouquoi ça changerait. Et puis soudain patatras, le retour du froid. Et tout s'est désintégré comme si cela n'avait jamais été. Sans aucune raison apparente.  Sa soupape a laché et elle a tout déballé. Cette vision insupportable de moi, jusqu'à ma façon de manger, de m'asseoir. Sans doute de respirer, sans doute d'être. Des revendications pour que je fasse des excuses à propos d'événements anciens, déformés ou dont je ne me souviens même pas avoir été. Mon inutilité crasse : elle n'a aucun besoin de moi, puisqu'elle a un compagnon, un chat et une famille. 
C'est vrai, je ne peux rivaliser; je n'ai plus de chien, et pas de famille. Cela m'évoque la réflexion de mon ex lors de sa batmitzva : "la famille juive c'est nous".
Et depuis c'est comme ça. Après les injures, plus rien.
Dimanche c'était la fête des Mères.
Personne ne m'enlèvera mon statut de mère. Tout le monde a une mère : les assassinés, les assassins en série, les otages, les preneurs d'otages, les persécutés et les salauds, les exilés et les voisins. La plupart de celles-ci souffrent, Mater Dolorosa, il y a même un article dans Wikipedia.
Pourtant je ne m'identifie pas à la mater dolorosa. Je veux vivre. Peu importe ce qui arrivera. Peut-être reviendra-t-elle, bientôt, plus tard quand elle sera mère elle-même et qu'elle aura un peu compris le process, peut-être avec l'intention de reprendre la boucle infernale de oui-non dont je ne veux plus. Peut-elle ne reviendra-t-elle jamais. D'autres ont vécu cela : disparition volontaire, exil au fin fond des Amériques où on partait au siècle dernier sans communication possible.
I will survive.
Dimanche c'était la fête des Mères.
Je me suis faite un cadeau : je me suis offert une jolie bague, un anneau coloré de pierres multicolores, une alliance. Symbole de l'alliance avec moi-même : rester fidèle à mon amour, à mon éthique, et à la vie des petits bonheurs.